Face à la déferlante numérique mais aussi aux évolutions de la société, les professionnels des ressources humaines ne peuvent pas rester les bras croisés. Car ils courraient le risque de se retrouver cantonnés à la gestion des processus. Frédéric Mischler, qui conseille les DRH sur l’innovation, explore pour Manager Attitude les pistes qui leur sont ouvertes.
Manager Attitude : Vous travaillez avec les directions RH pour les aider à se transformer. Elles sont pourtant habituées à faire appel à la formation continue pour faire évoluer les collaborateurs de l’entreprise. Mais pour ce qui les concerne, elles n’y arrivent pas toutes seules ?
Frédéric Mischler, consultant RH, auteur du blog InnovationsRH : J’ai longtemps été de l’autre côté de la barrière, œuvrant à la mise en place de SIRH, au recrutement, à la gestion des ruptures. Puis comme responsable de formation, dans plusieurs pays.
A un moment de ma carrière, je me suis trouvé face à un problème, à une limitation dans le fonctionnement même des RH. En fait, elles ont du mal à travailler sur elles-mêmes. Les cursus interentreprises obtiennent généralement des résultats faibles, parce que la mise en œuvre concrète ne suit pas lors du retour dans l’entreprise. Même chose pour les formations intra, qui font intervenir un ou plusieurs prestataires extérieurs, mais dont l’auditoire fonctionne en vase clos, sans possibilité de partage d’expériences avec des pairs.
Pour pallier ce manque d’ouverture ressenti, j’ai créé et animé une communauté de responsables RH. Mais son succès m’a obligé à choisir. J’ai opté pour le mode collaboratif, ouvert un blog et me suis lancé dans le conseil, auprès des directions RH, pour les aider à se transformer, à innover.
Manager Attitude : Il y a deux sortes d’innovations : celles qu’on impose, et celles que l’on promeut. Qu’en est-il du comportement des DRH ?
Frédéric Mischler : La fonction RH est souvent amenée à changer… parce que la société change, et pas parce qu’elle aurait voulu ou anticipé le changement. Ces évolutions externes, comme la demande de plus d’égalité entre hommes et femmes, ou la prise en compte des risques psycho-sociaux au travail, finissent par se traduire en textes législatifs, vécus ensuite comme des contraintes par l’entreprise.
Mais à bien y regarder, la DRH aurait pu anticiper les questions, développer des réponses. Elle se serait ainsi évitée, dans une sphère où elle est totalement légitime, de se voir imposer une façon de voir et un calendrier.
Manager Attitude : Il y a d’autres innovations sur lesquelles la DRH peut se montrer proactive ?
Le numérique est une lame de fond
Frédéric Mischler : En dehors d’être en alerte sur les modes de pensée dans notre société, ce qu’elle devrait faire mais qu’elle fait très peu, je pense évidemment à la lame de fond numérique. A propos de laquelle les DRH sont restées sur des postulats d’outils, sur des théorisations, sans prendre le risque de tester, de se livrer à des expériences, de faire des erreurs utiles.
Il faut dire que la sphère IT échappe à son contrôle. Mais au moins, auparavant, elle restait sous celui de la DSI, ce qui était un moindre mal. C’est l’entreprise qui formait ses collaborateurs à l’informatique, qui rythmait la mise à disposition des outils, qui autorisait ou interdisait certaines actions, etc.
Ceci est fini, depuis le milieu des années 2000. Le salarié fait sa vie numérique en dehors de l’entreprise. Et la DRH constate, sans pouvoir gérer.
Manager Attitude : A quelles occasions ?
Frédéric Mischler : Voyez l’organigramme, par exemple. Auparavant, il recelait des zones d’ombre, soigneusement protégées, notamment par la DRH. Aujourd’hui, vous en apprenez plus sur vos salariés et sur le fonctionnement de l’entreprise en allant sur les RSE qu’en utilisant les outils des ressources humaines.
Le phénomène des MOOC (Massive Open Online Courses) est également significatif. Vous trouvez dans de nombreuses DRH des responsables qui refusent d’en voir la nouveauté, en les comparant systématiquement avec feu le e-learning, pour justifier leur attentisme. Alors qu’il s’agit d’une innovation majeure et prometteuse, qui génère de l’interaction entre les apprenants.
On peut également évoquer cette nouvelle application pour mobile Soma, qui propose de mesurer le niveau de stress de son utilisateur en permanence. Bientôt, il y aura des cartographies des risques psycho-sociaux accessibles sur internet… Et les DRH, qui auraient pu se tenir en première ligne sur le sujet, n’y seront pour rien.
Manager Attitude : Vous affirmez que la fonction RH va beaucoup changer et, surtout, devoir beaucoup changer dans les dix prochaines années. Quels conseils donneriez-vous pour ne pas manquer le virage ?
Accepter l'innovation… et agir
Frédéric Mischler : La bonne attitude, c’est de s’ouvrir à l’innovation, d’accepter qu’elle vienne de l’extérieur et, surtout, d’agir. Cette fonction RH réfléchit beaucoup, peut-être trop, et ne se livre pas assez à l’expérimentation. Or il y a de nombreux sujets qui la permettent aujourd’hui, et qui vont impacter son fonctionnement.
Sur le fond, il faudra aussi rompre avec cette schizophrénie entre le versant économique et le versant humain de ses missions. Lâcher un peu sur les processus et se risquer sur le relationnel. Cela peut paraître un comble de dire cela, mais les DRH ne sont pas si à l’aise sur ce terrain. La bonne nouvelle, c’est qu’elles peuvent progresser, notamment en s’alliant avec l’informatique.