La désintermédiation bouleverse les habitudes des acheteurs et donne du fil à retordre aux voyagistes. Selon le baromètre PME-PMI 2012 d’American Express Voyages d’affaires, environ 50 % des cadres dirigeants effectuent plus d'un voyage par mois, et jusqu’à 20 par an, voire davantage, pour les chefs d’entreprise. La technologie devient un élément capital dans la gestion de ces déplacements, avec une forte incidence sur l'optimisation des coûts et des process, mais aussi sur la mobilité et la sécurité des voyageurs.
Entretien avec Laurent Comte, Directeur général, Carlson Wagonlit Travel.
Manager Attitude : Comment la politique de voyage d’affaires des entreprises s’est-elle structurée ?
Laurent Comte : Jusqu’aux années 1990, les entreprises abordaient le voyage d’affaires avec un mode de fonctionnement ad-hoc. S’en chargeaient les services généraux, les achats, les ressources humaines, le service informatique, sans réellement de structure ou d’organisation systématique. Peu de règles, et un fonctionnement selon le besoin.
Puis le voyage d’affaires a évolué, l’offre s’est professionnalisée, des outils se sont développés, la technologie est arrivée. Les agences de voyage se sont équipées et professionnalisées, elles ont pu offrir plus de valeur ajoutée à leurs clients, notamment dans la structuration d’une politique de voyages. C’est ainsi qu’est apparue dans les années 1990 la fonction de travel manager. Chaque entreprise a construit sa politique voyages selon ses besoins : déplacements nationaux ou internationaux, courts ou longs courriers, fréquence, besoins en hébergement, etc. La notion d’optimisation des dépenses fournisseurs, avec, en France, l’aérien et le ferroviaire notamment, est également apparue.
La logique de politique de voyages d’affaires est donc récente ?
L. C.: Le travel manager a en effet été porteur de cette volonté de rationalisation. Il ne s’agit plus de tout autoriser. La politique voyagese définit avec l’agence : pour chaque type de déplacement, on tend à privilégier de manière systématique un moyen de transport, un type d’hébergement, une classe voyageur, un budget.
Au cours des années 2005-2010 la fonction Achats s’est de plus en plus invitée dans le voyage d’affaires. A la fonction de travel manager s’ajoute donc une dimension économique qui prend une ampleur considérable et tend à réduire les autres.
Ces dernières années n’ont-elles pas vu les choses s’équilibrer quelque peu, entre économies à tout prix et confort du voyageur ?
L. C.: C’est exact. On constate une nouvelle évolution, qui ne cherche plus uniquement l’économie – en tous cas pas à tout prix. La satisfaction du voyageur revient sur le devant de la scène, avec notamment un intérêt pour la qualité de service. Les entreprises prennent conscience que le « best buy » n’est pas systématiquement la meilleure solution. Par exemple, un tarif qui offre une flexibilité horaire s’avère souvent plus intéressant.
Les entreprises et les agences travaillent conjointement à offrir au voyageur une tranquillité d’esprit, tant au moment de la réservation qu’au cours du voyage. Sur ce point, la technologie apporte des solutions très intéressantes. Il s’agit aussi de mieux faire accepter une politique restrictive, par exemple par la gamification : en respectant la politique définie, le voyageur gagne des points.
Quelle est la part d’internet dans votre activité ?
L. C.: Le digital répond à des exigences croissantes de service. Nos clients souhaitent trouver une même qualité de service et une même facilité d’organisation de voyage dans leur activité professionnelle que dans leur vie privée. Internet est devenu incontournable. En 2007, 8 à 10 % de nos transactions se passaient on-line. On estime qu’à fin 2014 nous serons on-line à plus de 70 % ! Celà change profondément notre manière d’exercer notre métier.
Comment le digital transforme-t-il votre activité ?
L. C.: Sur notre métier de service, le on-line engendre de fait des coûts de prestation moindres : un service en ligne est moins onéreux en main d’œuvre qu’un centre d’appel. Cependant, il faut aussi comprendre que les services de l’agence ne représentent que 5 % du prix total d’une prestation. Passer d’une réservation téléphonique à une réservation online fait économiser 60 à 70 % du coût de la réservation, mais sur 5 % du coût total de la dépense voyage.
Pour nous, agences, cela signifie un investissement en technologie (en serveurs notamment), mais aussi la création de nouveaux métiers. Il nous faut embaucher et former des employés spécialisés en paramétrage d’outils en ligne, en suivi, maintenance, etc. Il nous faut aussi accompagner nos clients dans l’adoption de ces outils : installer, former, répondre aux objectifs fixés, expliquer les différences de prix entre l’Internet grand public et les prix de l’agence, etc. Nous avons été ainsi les premiers à créer la fonction d’adoption manager. Sur la mobilité, nous répondons aux besoins en développant des applications permettant d’accéder à nos services sur un smartphone, en tenant compte de tous les paramètres définis dans la politique voyages, ce qui est complexe : il s’agit de CWT To Go.
Le métier de voyagiste est-il toujours en mutation ?
L. C.: C’est certain, nous n’abordons plus du tout notre métier comme avant. Nous devons nous adapter par le biais de l’innovation : par croissance externe comme avec l’acquisition de Worldmate pour le développement de nos applications, mais aussi en réinventant en interne nos métiers et notre appréhension de l’innovation.
Nous ne croyons pas aux services 100 % online, car nous constatons que la dimension humaine demeure fondamentale pour traiter des demandes complexes ; par exemple un voyage circulaire, qui implique plusieurs destinations, plusieurs vols, une location de voiture, plusieurs hôtels, etc. La couche technologique est obligatoire, mais c’est la force de notre service clients qui constitue notre plus grand atout.
Comment percevez-vous le métier de travel manager ?
L. C.: Après des années difficiles où il a eu peine à faire sa place face, notamment, à la fonction achats, il est à présent reconnu. La complexité du voyage d’affaires et de la politique afférente en font un élément clé dans l’entreprise. Il lui faut aujourd’hui prendre en compte les offres alternatives aux voyages traditionnels : les AirB&B, les Uber et autres VTC sont autant d’éléments de complexification de l’offre et donc des politiques de voyage. Aujourd’hui la difficulté est d’intégrer ces nouveaux services dans les politiques car ils sont difficiles à mesurer et donc à optimiser. Nous pensons que l’agence de voyage peut avoir un rôle de conseil auprès de l’entreprise face à ces évolutions.
*
Carlson Wagonlit Travel est un leader mondial spécialisé dans la gestion des voyages d'affaires, présent sur 150 territoires. En France, CWT intervient dans trois secteurs : le voyage d’affaires, l’évènementiel et le loisir. En 2011, les activités de CWT ont généré un volume d’affaires de 2,2 milliards d’euros. Laurent Comte en est le directeur général en France depuis septembre 2012. Il a rejoint CWT France en 2007 en tant que directeur des opérations ; il avait été nommé Directeur Général délégué CWT Business Travel en 2009. Diplômé de l’Essec, Laurent Comte a démarré sa carrière dans le groupe de presse Sapeso en 1986 avant de poursuivre chez Xerox Limited.