Facebook, l’intouchable, est aujourd’hui englué dans un scandale de détournement d'informations personnelles (Cambridge Analytica). En Europe, le partage des données est aussi à l’ordre du jour avec l’arrivée du Règlement général sur la protection des données (RGPD) qui a pour vocation… leur protection. Quel avenir alors pour les médias sociaux et les stratégies commerciales qui y sont associées, comme le social selling ? Pour le savoir, Manager Attitude a interrogé à Amsterdam un spécialiste international reconnu : le Franco-Américain Olivier Blanchard.
14 millions. C’est le nombre d’inscrits à la plateforme LinkedIn en France, en avril 2017. Un chiffre qui illustre le succès du réseau social mais qui offre aussi un véritable vivier d’informations clients… et un réel potentiel en termes de ventes. Mais ce type de stratégie commerciale n’est-il pas aujourd’hui remis en question ? Analyste, conseiller et auteur, Olivier Blanchard a son idée sur la question…
Né en France, ce quadragénaire s’est installé il y a 25 ans aux États-Unis. Aujourd’hui, il habite à Greenville, en Caroline-du-Sud et travaille comme consultant en stratégie marketing pour le prestigieux cabinet de recherches américain Futurum Research. Invité d’honneur du congrès annuel #CMFF, Content Marketing Fast Forward, à Amsterdam, il y a rappelé le poids du commerce et de l’innovation numérique dans la réussite des entreprises. Le brillant Frenchie nous a accordé une interview sur les perspectives du social selling dans le contexte actuel. Si ce spécialiste reconnu semblait avoir laissé sa boule de cristal dans son pays d’adoption, il nous a néanmoins éclairé sur les limites et le devenir des médias sociaux. Entretien.
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Manager Attitude : Qu’est-ce qui bouge dans le social selling ?
Olivier Blanchard : À l’origine, le social selling était presque purement organique, c’est-à-dire que tout se faisait de façon naturelle. Les écosystèmes de Facebook, Twitter, Youtube, etc., permettaient de créer très facilement des communautés d’intérêt – et donc de clients et partenaires potentiels ! Or cette époque est derrière nous. Ce qui était possible pour les marques hier…, ne l’est plus aujourd’hui. Attirer des utilisateurs pour réaliser la promotion de tel ou tel produit, sans payer… n’est plus possible. Aujourd’hui, les marques doivent acheter aux réseaux sociaux l’attention d’une communauté qu’elles se construisent parfois à grands frais. Même Starbucks – qui, en 2015, pouvait encore récupérer 100.000 fans sur Facebook, doit passer à la caisse.
Le futur du social selling, un conte de fée ou un cauchemar ?
Ni l’un ni l’autre ! Le social selling, c’est du marketing. Les gens savent ce que sont les réseaux sociaux et comment les utiliser. Par conséquent, les défis ne sont plus tout à fait les mêmes. Aujourd’hui, la question de base est redevenue « comment capturer l’attention des consommateurs ? ». Car c’est le préalable indispensable à toute captation de datas clients, et à toute exploitation commerciale ultérieure…
Les utilisateurs de Facebook, Google, etc., en acceptant la licence d’utilisation du service, autorisent l’accès à beaucoup de leurs données, et offrent donc un potentiel de rêve en termes de transformation commerciale. Les marques peuvent même découvrir des persona – des profils de consommateurs – jusqu’alors inconnus. Le côté sombre, c’est qu’elles vont devoir payer… et repayer, pour avoir ne serait-ce que la possibilité d’essayer d’arriver à leurs fins.
La plus grande transformation du moment pour les entreprises ?
L’Intelligence Artificielle (IA), sans aucun doute. Aujourd’hui, sur la base des personas établis grâce aux données, on peut créer des contenus adaptés, et y attacher les tactiques de vente à suivre. Pas mal, mais avec l’IA, les possibilités de micro-ciblage vont devenir vraiment très performantes. Jusqu’à peut-être une complète individualisation ?
De manière générale, les résultats peuvent être encore très largement améliorés. Il est encore très difficile de gérer une masse de données multiples, que l’on s’appelle Facebook ou… Cambridge Analytica.
Quelles sont les limites des médias sociaux et de l'utilisation des données personnelles ?
La limite, c’est la légalité. Le peuple hollandais s’est récemment opposé, via référendum, à un projet de loi sur la surveillance des télécommunications et de l'internet. Le gouvernement néerlandais souhaitait pouvoir accéder aux données fournies par les médias sociaux afin « d’améliorer la protection des citoyens ».
Mais les prétextes d’aujourd’hui ne sont pas forcément ceux de demain. Au nom de quelles idées peut-on surveiller ? C’est la vraie question. « L’image de Big Brother plane encore », rappelle Olivier Blanchard, qui appelle de ses vœux… la protection d’une Big Mother !
Le 25 mai 2018, les entreprises seront contraintes de se conformer au Règlement général sur la protection des données (RGPD). Un règlement européen qui a pour but de donner aux citoyens le contrôle de leurs données personnelles, tout en unifiant les règlementations relatives à la protection de la vie privée dans l’Union Européenne. Les entreprises non conformes à ce règlement seront pénalisées : certaines violations seront passibles d’amendes pouvant atteindre jusqu’à 20 millions d’euros ou 4% du chiffre d’affaires annuel mondial. Le RGPD exige une plus grande transparence de la part des entreprises quant à la nature des données personnelles qu’elles détiennent et au lieu physique dans lequel elles les stockent. Comment les réseaux sociaux vont-ils assurer la sécurisation des données et le respect de la loi, censée protéger les données des citoyens européens, où qu’elles se trouvent ? À terme, si la loi évolue dans le sens de la protection des consommateurs, pourra-t-on encore utiliser les médias sociaux dans une stratégie de vente ? |
Olivier Blanchard parcourt le monde pour parler de la technologie des entreprises, de la rupture en tant que modèle (« Disruption as a model »), ainsi que de l'impact de l'innovation sur les marchés et la culture. Il est l'auteur à succès de « Social Media ROI : Gestion et mesure des efforts de médias sociaux dans votre organisation », et co-auteur de « Building Dragons : la transformation numérique dans l'économie de l'expérience ».