Le modèle de management des call centers n'est pas adapté, selon Emmanuel Mignot, PDG de Teletech International, interviewé par Manager Attitude. Explications.
Manager Attitude : Vous avez créé Teletech International en Bourgogne il y a une vingtaine d’années, avec des idées bien précises pour renouveler le modèle managérial dans un secteur, le centre d’appel, qui n’a pas forcément la réputation d’innover. Pourquoi avoir pris ce risque ?
Emmanuel Mignot, PDG de Teletech International : J’ai commencé ma carrière d’entrepreneur en lançant ma première société de télémarketing en 1983. Son parcours a été suffisamment intéressant pour que France Télécom s’en porte acquéreur en 1993. J’ai alors décidé de créer une nouvelle entreprise, dans ce secteur que je connaissais bien. Ce fut l’occasion de m’interroger sur ce qui pourrait être différent de ce que j’avais déjà vécu. Comme je suis très attaché au milieu rural, et que j’avais envie de démontrer qu’un développement d’entreprise y était possible, j’ai décidé de faire œuvre utile en ce sens.
Dès la création de la société, la formation s'est avérée fondamentale
C’est ainsi que nous nous sommes installés d’abord à Toucy, dans l’Yonne, la petite ville natale de Pierre Larousse. Avec des problématiques inédites : il n’y avait pas de bâtiments pour nous abriter, pas de bassin d’emploi… et pas trop de réseau non plus ! Du coup, dès la naissance de la société, la question de la formation s’est avérée fondamentale. Et ce qui va avec, à savoir le turn-over. Car quand vous consacrez comme nous 4 mois et demi à former les gens, contre 2 à 3 jours en moyenne dans notre secteur d’activité, vous ne pourriez pas supporter que vos collaborateurs vous quittent au bout de 18 mois, la moyenne du métier.
Il est souvent dit que le télémarketing est un métier très dur, afin de justifier des turn-over aussi élevés. Mais les maçons aussi font un travail difficile. Et ils le font pendant 30 ou 40 ans.
Quelles ont été vos principales innovations en matière de management ?
Emmanuel Mignot : Un constat d’abord : vingt ans après la création de Teletech International, la moitié de l’équipe de départ est encore dans la société. La formation est primordiale, nous l’avons vu. L’attractivité du poste de travail aussi. Nous n’avons pas hésité à faire appel à un cabinet d’architectes néerlandais pour concevoir des bureaux qui donnent envie de venir travailler.
Nous avons aussi mené une réflexion sur notre métier et son modèle managérial. Toutes les études nous disent depuis plusieurs années qu’il manque la cible, puisque l’écart ne cesse de grandir entre l’attente des consommateurs et ce qui leur est proposé par les télécentres. Un comble quand on œuvre dans la « relation client » ! Nous nous sommes donc efforcés de lutter contre le courant issu d’internet, fait de self care ou d’échanges standardisés au téléphone. Au contraire, nous avons voulu aller vers une attitude de conseil, évidemment plus personnalisée.
Ce sont des réponses courageuses, mais classiques, non ?
5 partenariats avec des laboratoires de recherche en sciences sociales
Emmanuel Mignot : C’est vrai. Pour vraiment innover, il faut prendre du recul, de la distance. Quand vous faites un métier depuis longtemps, il y a trop d’évidences qui s’imposent. Nous avons donc sollicité des laboratoires de recherche en sciences sociales, pour qu’ils nous aident à évoluer, à réinventer notre métier. Nous avons notamment 5 partenariats, dont l’un avec le CNRS.
Appliqué à notre métier, le modèle industriel est destructeur de valeur
La première conclusion, et sans doute la principale, a été celle-ci : Le modèle managérial industriel qui a été appliqué à notre métier, à base de contrôle qualité, puis de contrôle tout court, n’est plus le bon. Car à force d’appliquer la règle « si je contrôle, j’obtiens de la qualité », on génère une dérive. Vous devez normer votre prestation pour pouvoir la contrôler. Or, les consommateurs, lorsqu’ils appellent, attendent des réponses adaptées, personalisées. Tout le contraire de ce que peut produire un modèle industriel qui va toujours vers plus de normalisation. En mécontentant le consommateur, alors que sa satisfaction constitue la justification de votre métier, votre organisation prétendument optimisée détruit donc directement de la valeur.
Comment changer de paradigme alors ?
Emmanuel Mignot : Pour commencer en mettant sur un pied d’égalité, en termes de considération, celui qui répond au téléphone et le comptable, le technicien, etc. Cela peut paraitre une évidence, mais c’est loin d’être le cas général. Le secteur est très maltraitant, et génère beaucoup de démissions, voire pire.
Redéfinir la place du middle management
Ensuite, limiter les contrôles, du moins les contrôles individuels. Ce qui amène à repenser le rôle des superviseurs, devenus chez nous des pilotes, pour supprimer une fois encore les réflexes venus de l’industrie. J’ai coutume de dire qu’il ne faut pas fabriquer de la hiérarchie inutile et que, dès que quelque chose fonctionne, on peut supprimer son directeur. Mais le pendant, c’est évidemment de redéfinir la place du middle management, de l’évaluer sur sa capacité à professionnaliser ses équipes. En minimisant au passage les indicateurs de performance qui portent sur le court terme.
Vos clients vous suivent-ils ? Et que pensent vos concurrents de votre démarche ?
Emmanuel Mignot : Certaines entreprises ont compris l’intérêt de notre démarche, mais limitent pour l’instant notre intervention à leurs contrats les plus stratégiques. Mais force est de constater que la plupart des directions des achats sont encore dans la posture à propos de la RSE. La multiplication des labels dans ce domaine les arrange d’ailleurs bien, car ils offrent une bonne conscience à peu de frais et surtout sans véritable contrôle.
J’ai longtemps refusé de jouer ce jeu, jusqu’à ce que je tombe sur l’European Social Label. Pour 480 euros par an dans le cas d'une TPE, il mesure le climat social de l’entreprise en interrogeant exclusivement ses collaborateurs. Nous avons eu 84% de votes positifs. Surtout, le label suppose que la direction aille présenter les résultats de l’enquête aux salariés, et en discute les conclusions.
Quant à mes concurrents, ils continuent, vingt ans après, à me prendre pour un fou et un révolutionnaire. Comme leurs chiffres d’affaires, malgré la souffrance de leurs salariés, a continué d’augmenter pendant cette même période, ils peuvent continuer d’éviter de s’interroger. Ce qui n’empêche pas mon blog d’être très lu !
Propos recueillis par François Jeanne. Teletech International emploie 550 personnes en France et à l'étranger. Son siège social est à Dijon.