Les MOOC vont-ils révolutionner la formation continue en entreprise ? Le chercheur Mathieu Cisel se montre dubitatif sur la capacité des entreprises à les imposer comme un nouveau mode d’auto-apprentissage. La spontanéité et les comportements participatifs des salariés ne se décrètent pas, ils s’accompagnent.
Manager Attitude : Depuis combien de temps vous consacrez-vous aux MOOC (Massive Open Online Curses) ?
Mathieu Cisel, doctorant, Auteur du blog la Révolution MOOC : Je m’y suis investi il y a trois ans, notamment en participant à la première édition du MOOC de Centrale Lille. C’est l’un des plus connus dans la sphère professionnelle. Il a été développé en mode open source, sur le thème de la gestion ABC de projets. Depuis deux ans, le nombre de participants aux sessions (qui durent chacune deux mois, NDLR) augmente régulièrement. De 3,600 aux débuts, il s’établit désormais à 18,000.
Le monde des MOOC m’a intéressé au point de vouloir créer une entreprise. Le projet a été reporté mais je ne me suis pas éloigné du sujet, et y consacre ma thèse de normalien.
M.A. : 18,000 participants, c’est moins que certains MOOC du CNAM, consacrés au management ?
Mathieu Cisel : C’est vrai. Mais leur thématique a une dimension grand public, qui élargit leuraudience potentielle. Ce n’est pas le cas de la gestion de projet ABC…
Le succès des MOOC du CNAM est intéressant, même s’il faut relativiser en se rappelant que de l’autre côté de l’Atlantique, des centaines d’autres cours les dépassent en termes de fréquentation.
M.A. : Beaucoup de DRH s’interrogent aujourd’hui sur l’opportunité d’utiliser ces MOOC dans leurs programmes de formation. Qu'en pensez-vous ?
Mathieu Cisel : Cela pourrait être un formidable outil, à moindre coût. Mais la question du cadrage de ces démarches reste très ouverte. Celle de leur récompense aussi. Au-delà du certificat attestant de la réussite dans le suivi des cours, que peut faire la DRH ?
M.A. : Il est vrai qu’il n’y a pas encore de témoignages sur une utilisation des MOOC en entreprise ?
Il n'y a pas encore beaucoup d'expériences abouties
Mathieu Cisel : Non, parce qu’il n’y a pas beaucoup d’expériences abouties. On peut quand même citer le cas de Canalplus, où le suivi de certains MOOC par les salariés, s’effectue en commun, dans des salles libérées par la DRH, qui encourage leur participation, et la valorise en interne. C’est un exemple de cadre institutionnel posé, avec du temps dégagé, de l’animation et de la promotion.
M.A. : Vous écrivez même, sur votre blog, que le MOOC en formation continue relève du mirage. Pourquoi ?
Mathieu Cisel : Je pense qu’il y a un paradoxe managérial. D’un côté, le responsable de l’entreprise définit la politique de formation de ses collaborateurs. Arrive ce nouvel outil, économique, efficace, etc. Sauf qu’il repose, entre autres, sur de nombreux échanges entre les participants aux cours, débouchant sur un knowledge management très horizontalisé, au contraire de ce qui se pratique dans les organisations où il y a souvent un sachant, et des apprenants. Or si le DRH peut inviter les collaborateurs à se rendre sur le MOOC, et même les y inciter, personne ne peut forcer les gens à se montrer participatifs, spontanés.
M.A. : Mais si les salariés sont demandeurs, cette solution supplémentaire disponible devrait les séduire ?
L'auto-formation n'est pas loin de l'auto-détermination
Mathieu Cisel : Les pratiques dans la formation des collaborateurs sont très hétérogènes en France. D’un côté, des entreprises de nouvelles technologies, avec beaucoup de cadres bien formés, où la mise à niveau permanente des connaissances relève de la survie. Ils sont d’ailleurs très autonomes dans cette quête d’informations, et les MOOC leur apportent des solutions supplémentaires. Mais ils ne changent pas leur comportement très auto-formateur. Ils ne font que le renforcer.
Mais l’auto-formation n’est pas très loin de l’auto-détermination. Dans ces entreprises où la hiérarchie est légitimée par les compétences du manager, c’est acceptable. Beaucoup moins dans des univers où la spontanéité de la démarche de l’apprenant peut heurter, par le changement de posture vis-à-vis de la hiérarchie, qu’il provoque par rapport à l’apprentissage.
M.A. : Votre analyse est très élitiste. Les MOOC seraient donc réservés à ceux qui ont déjà pu suivre des études assez longues, à qui on laisserait en plus la liberté de se former en toute autonomie ?
Mathieu Cisel : Ce n’est pas mon souhait, c’est un constat. Il y a des univers professionnels où le temps de formation où d’auto-formation devrait représenter jusqu’à un quart du temps. C’est loin d’être le cas partout.
Un problème de fond, c’est que, dans les formations initiales, l’autonomie dans l’apprentissage n’est pas encouragée, au contraire. L’Education Nationale s’intéresse désormais aux MOOC, et cela pourrait heureusement faire évoluer ce manque.
En attendant, ceux qui parviennent à s’en sortir sont des survivants, qui continuent d’avoir envie d’apprendre. Pour les autres, je conseille aux DRH comme aux collaborateurs d’aller vers des MOOC qui leur permettront de gagner rapidement en productivité : bureautique, numérique en général, mais aussi méthodes de gestion de projets par exemple. Un premier succès, avec un bon ROI, peut jeter les bases d’un projet plus ambitieux d’auto-formation, côté DRH comme côté salariés.