Entretien avec Rémi Boyer, Vice-président ressources humaines et support, division recherche et développement, Groupe PSA Peugeot Citroën.
Manager Attitude : Vous êtes DRH du département R&D dans une entreprise en restructuration. Quelles particularités cela entraine-t-il dans l’exercice de votre fonction ?
Rémi Boyer : Mon challenge, c’est de préserver les compétences fondamentales et compétitives, de l’entreprise, celles qui assurent l’avenir compétitif du groupe - tout en participant à l’effort général. En R&D, nous travaillons sur des projets avec un horizon minimum de 3 à 5 ans. Ils portent la promesse technologique du groupe tout entier. Nos effectifs cumulent des compétences acquises tout au long de leur parcours et, pour beaucoup, ils ne sont pas interchangeables. Mon plus grand défi, c’est de combiner la nécessaire restructuration et la préservation du cœur de compétences clés.
Comment mettre en adéquation ces deux objectifs difficilement conciliables en apparence ?
R.B.: Nous avons défini trois axes stratégiques pour la stratégie d’innovation, en ligne avec les ambitions à long terme des marques Peugeot, Citroën et DS. Ces ambitions de marques ont des implications en termes de R&D, et donc en termes de RH dans la R&D. Ces trois axes sont :
- le travail sur les émissions de CO2 (allégement des véhicules, performance des moteurs, etc.),
- la connectivité (aide à la conduite, services connectés dans le véhicule, etc.),
- l’entretien d’un portefeuille d’innovations qui différencie l’entreprise de la concurrence.
Nous orientons les compétences en fonction de ces combats stratégiques.
Comment s’organise votre département ? Quelle est la part respective de la recherche pure et du développement ?
R.B.: Le département R&D compte environ 11 500 employés en Europe. Dans cet effectif, nous comptons environ 440 personnes au sein de la direction de l’innovation, qui travaillent sur l’innovation pure, et dont le métier s’apparente de très près à de la recherche fondamentale. Leur horizon le plus proche, c’est 10 ans.
La R&D de PSA, c’est 11,500 personnes en Europe
D’autres métiers sont à cheval entre la recherche fondamentale et la conception des produits, ce sont ceux de la recherche appliquée. Ils travaillent avec un cahier des charges, des contraintes, un timing, un budget, un plan d’accès au marché : ils représentent environ 8 500 employés. Enfin nous avons toute la recherche aval, c’est-à-dire la R&D appliquée, qui correspond aux phases de tests liés à la pré-industrialisation et à la vie série. La plupart des effectifs dans cette branche sont des techniciens et des ouvriers.
Comment identifie-t-on les compétences clé dans une organisation qui compte 11 500 employés ?
R.B.: Nous avons conçu une matrice à neuf cases, qui nous permet d’identifier clairement les compétences les plus en adéquation avec les axes stratégiques. Cet outil croise l’impact de la compétence sur la stratégie des marques avec la facilité de trouver cette compétence sur le marché. Nous mettons à jour cet outil de pilotage de l’emploi chaque année, et il alimente l’observatoire des métiers et des compétences, organisme paritaire qui se réunit deux fois par an.
Aborder la sous-traitance avec réalisme
Cette matrice permet de réellement piloter l’emploi avec anticipation, de favoriser la rétention des compétences clés, et de prévoir les nécessaires formations et les reconversions. Elle nous permet également d’aborder la sous-traitance avec réalisme, de manière à ce que la variabilisation de charge ne soit pas que quantitative, mais aussi qualitative. Nous pouvons ainsi sortir de la charge sur des métiers et des compétences qui ne sont pas au cœur des axes stratégiques.
Comment motiver les personnes clés à rester, tour particulièrement en R&D, dans une période de contraction des investissements ?
R.B.: Nous avons une politique de l’expertise qui valorise les compétences-clés. On devient maître-expert après avoir été expert et spécialiste. Ces personnes sont les porteurs du savoir de l’entreprise. Nous leur demandons d’avoir un certain rayonnement en interne et en externe, de jouer un rôle dans la montée en compétences de leur métier dans l’entreprise, d’émettre un avis déterminant dans les étapes d’un projet, etc. C’est une manière de valoriser les compétences du groupe dans certains domaines, d’avoir une influence dans les gains liés à la différenciation. Il y a aujourd’hui 19 maitres-experts chez PSA, et 153 experts.
Outre ces défis liés en partie à la situation présente, quelles sont les particularités de la fonction RH dans un département R&D ?
R.B.: La population de chercheurs est relativement stable, elle présente un très faible taux d’attrition. En revanche, nous savons que c’est une population qui a besoin, peut-être encore plus que d’autres, de sentir qu’elle travaille à un projet, qu’elle collabore à une vision. Il est urgent de sortir de la phase actuelle grâce aux investissements en R&D, et d’écrire une histoire autour des trois axes stratégiques que nous avosns définis.
Quelles sont les sources de satisfaction aujourd’hui ?
Dès 2016, ça repart
R.B.: Les effets du redressement se font sentir, les projets se remettent en route. En R&D, plus on a de projets, plus on est content ! Evidemment, cela ne se perçoit pas encore de l’extérieur, car les réductions d’investissements de 2012 dans les projets auront un effet jusqu’en 2015, avec peu de lancements cette année. Mais dès 2016, ça repart. La population R&D est par essence sensible à l’arrivée de nouveaux projets. Enfin, les chercheurs développent une fierté d’appartenance au groupe qui est assez impressionnante. Le niveau de savoir et de compétences en R&D génère cet attachement à l’entreprise, à ses projets et à sa capacité d’innovation. C’est cela qu’il nous faut préserver à tout prix.
Avez-vous des difficultés à faire accepter votre politique de préservation des compétences ?
R.B.: C’est ma responsabilité de faire comprendre qu’en R&D, si on touche au cœur des compétences, c’est tout l’avenir de l’entreprise qui est menacé dans les quatre à dix ans. Les syndicats nous suivent dans cette transformation collective, ils adhèrent à cette stratégie de l’emploi qui vise à préserver le savoir-faire, quitte à mener les restructurations nécessaires sur des fonctions moins stratégiques pour l’entreprise, ou que l’entreprise n’a plus les moyens de s’offrir. La plus grande difficulté est de montrer que nous avons une logique à long terme qui est indispensable pour l’entreprise. C’est un privilège de l’exercice de la fonction RH en R&D : on travaille d’abord sur la compétence, avant de travailler sur l’adéquation emploi. Mais cela implique de bons outils et un travail de conviction au sein de l’entreprise.
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Rémi Boyer est vice-président RH du département R&D du groupe PSA Peugeot Citroën, qu’il a rejoint en 2010 en tant que vice-président RH sur le développement. Auparavant, il avait réalisé l’essentiel de son parcours professionnel chez Arcelor Mittal. Il est agrégé d’Histoire et d’Affaires Internationales à l’Ecole normale supérieure de Lettres et Sciences humaines.