Marie-Céline Plourin, Directrice du Développement Durable Edenred France, revient sur le pouvoir d'action des entreprises et de leurs collaborateurs en matière de Responsabilité Sociétale et Environnementale. Son interview, menée par l'expert RH Gaël Chatelain-Berry, est à retrouver dans le livre blanc réalisé par Edenred France avec Gaël Chatelain-Berry, "L'entreprise à la carte" !
G.C.B : Pourriez-vous définir votre métier de Directrice du développement durable ?
M.C.P : J’accompagne l’entreprise à porter un nouveau regard sur sa façon d’opérer, pour aborder ses enjeux économiques d’une autre manière, en prenant en compte les impacts sociétaux, humains, internes, externes et environnementaux. L’équilibre doit se faire entre trois sphères : l’économique, le social et l’environnemental. C’est la définition même du développement durable.
G.C.B : Quelles actions concrètes sont menées en la matière chez Edenred ?
M.C.P : Notre métier est de pourvoir des solutions qui octroient du pouvoir d’achat. La réflexion est de se demander ce que les gens peuvent faire, quel est le pouvoir d’action des utilisateurs de nos solutions avec ce pouvoir d’achat, comment faire que chacune des solutions aille au-delà de sa fonction première. Ticket Restaurant permet à tous de déjeuner, mais les enjeux vont maintenant au-delà de ça : équilibre alimentaire, impact environnemental, accès de tous à l’alimentation... Nous menons des actions pour avoir un impact pour l’individu et l’environnement le plus positif possible. Autour du titre-restaurant par exemple, nous menons un travail de sensibilisation pédagogique auprès des utilisateurs, des restaurateurs... pour qu’ils pratiquent une alimentation plus saine, plus équilibrée. Nous accompagnons également les restaurateurs pour leur faire prendre conscience que le gaspillage, en plus de leur coûter de l’argent, a un impact environnemental et social. Nous les conseillons pour leur permettre de recevoir des labels anti-gaspillage. Les thématiques et les champs des responsabilités évoluent, nous essayons d’orienter les choix de nos parties prenantes en fonction de leurs croyances ou de ce que nous estimons plus juste.
G.C.B : Votre rôle est autant interne qu’externe ?
M.C.P : Oui. En interne, mon rôle est de convaincre les collaborateurs qu’ils peuvent faire leur métier autrement. Nous devons leur amener cet éclairage. L’éclairage que je leur apporte, c’est la voix de l’externe : celle des salariés de nos clients, celle de nos clients, des associations qui nous interpellent, de la société civile, tout un écosystème dont je suis la porteuse de parole.
G.C.B : Avec la pandémie, avez-vous vu une évolution de votre rôle ou une mise en lumière plus forte ?
M.C.P : Il y a eu réellement pour pas mal d’entreprises un déclic. Il n’y a jamais eu autant de création de postes en RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) et de formations universitaires qu’actuellement. Il y a eu une véritable prise de conscience des risques à continuer à opérer « as usual », par des entreprises de tout niveau de maturité. Chez Edenred, toutes les actions qui avaient déjà été établies ont servi : sur le volet social, nos assistants sociaux ont été davantage sollicités pendant la Covid et on estime que c’est le fruit de tout le travail effectué en amont, de pédagogie et de confiance. Au niveau environnemental nous avons de plus en plus de sollicitations de la part de nos clients. Nous sommes soumis à des clauses RSE de plus en plus conséquentes et spécifiques de la part de nos donneurs d’ordres, par rapport au service fourni. Dernier exemple, beaucoup d’entreprises, avec la crise sanitaire, ont fermé leur restaurant d’entreprise pour différentes raisons. Elles perdent alors le contrôle sur l’accompagnement des salariés pour les orienter dans leurs choix alimentaires.
G.C.B : En interne chez Edenred, sentez-vous une écoute plus forte de la part du salarié lambda ? Y-a-t-il plus de réactions, d’attentes, de propositions pour travailler sur vos sujets ? Observez-vous des changements d’attitudes ?
M.C.P : Je ne l’ai pas forcément constaté. Avec mon équipe, nous menons beaucoup d’actions terrain, de sensibilisation. Les collaborateurs osent venir nous voir pour nous partager leurs projets et idées. Mais l’équipe RSE ne peut pas tout faire et tout connaître. Il faut vraiment dépersonnifier la fonction de la RSE et laisser les collaborateurs « s’autoriser à » pour faire évoluer leurs pratiques et mettre en place leurs idées.
G.C.B : Vous souhaiteriez que tout le monde soit acteur à son propre niveau ?
M.C.P : Mon idéal serait que mon job n’existe pas. Que tout le monde ait compris que, quel que soit le métier, il est possible de le faire autrement. Mon poste existe encore parce que tout le monde ne perçoit pas comment faire cette transformation, comment elle peut se traduire opérationnellement. Mais le collaborateur doit aussi pouvoir être autorisé à mener ses propres expérimentations.
Je vois des personnes de toute tranche d’âge, génération, métier, avec enfant ou sans enfants qui ont envie d’agir et à qui on ne donne pas forcément le temps ou le crédit de le faire. Si on pouvait libérer plus de temps à des collaborateurs, il y aurait un mouvement.
G.C.B : Faudrait-il que les engagements RSE soient quasiment dans la fiche de poste du salarié ?
M.C.P : Complètement, il y a des métiers pour lesquels il devrait y avoir au minimum un objectif RSE qui fasse partie de leur feuille de route. Pour que les bons réflexes ne viennent pas seulement quand la RSE vient solliciter les équipes. On se présente souvent comme du poil à gratter parce qu’on amène les gens à faire les choses autrement que ce dont ils ont l’habitude ou de la façon dont ils ont été formés.
G.C.B : La RSE va devenir un des éléments clé pour attirer des talents et les fidéliser. Vous devenez un axe stratégique pour l’image de l’entreprise, non ?
M.C.P : Oui mais de mon point de vue ce n’est pas encore suffisant. Pour recruter, les entreprises parlent de leurs engagements. Si je me place en tant que candidat, j’ai envie de rejoindre une organisation car elle est vertueuse et transparente sur ces éléments. Mais pour moi l’étape suivante c’est « qu’est-ce que l’entreprise m’autorise à faire ? », « qu’est-ce que je peux faire à mon échelle pour contribuer aux engagements de l’entreprise ? » plutôt qu’être passif et me dire que je travaille dans une structure qui me permet d’avoir la conscience un peu tranquille.
G.C.B : Libérer du temps aux collaborateurs pour leur permettre de s’engager à côté du travail et transformer les salariés en acteurs de la RSE, c’est une démarche très intéressante.
M.C.P : Pour moi l’enjeu est que l’engagement RSE ne soit pas à côté du travail mais en lien avec le business. Il y a mille et une causes sociales et environnementales, elles sont toutes nobles. Ce sur quoi les entreprises doivent travailler et embarquer leurs collaborateurs c’est celles sur lesquelles elles ont le pouvoir d’agir. Chez Edenred, nous avons identifié 4 sujets sur lesquels nous avons les moyens et le pouvoir d’agir par rapport à notre écosystème et qui ont une incidence pour nous aussi. Les collaborateurs ont deux jours sur leur temps de travail qu’ils peuvent dédier à une cause de leur choix mais en lien avec nos champs de responsabilité.
G.C.B : Des actions à mettre en place au quotidien ?
M.C.P : En tant que citoyen, calculer son empreinte environnementale. Il existe des applications pour cela, qui permettent de visualiser en un graphique les différents postes de son bilan carbone, pour comprendre facilement sur quel levier agir : loisir, consommation alimentaire...
En tant que salarié, lire le rapport RSE de son entreprise pour prendre conscience de l’impact de son activité et de ses actions. Il y a une disparité entre la conscience que l’on a et les actes que l’on fait, qui concerne tout le monde et n’est pas liée à une question d’âge.