Nathalie Liebert, Directrice des Ressources Humaines d'Edenred France, revient sur les transformations qui impactent l'univers des ressources humaines : travail hybride, expérience collaborateur, rôle de plus en plus stratégique des RH dans l'organisation et enjeux de recrutement, son interview, menée par l'expert RH Gaël Chatelain-Berry, est à retrouver dans le livre blanc réalisé par Edenred France avec Gaël Chatelain-Berry, "L'entreprise à la carte" !
Gaël Chatelain-Berry : Quels sont les grands enjeux RH pour Edenred aujourd’hui ?
Nathalie Liebert : Cela peut sembler trivial, mais la transformation est un vrai enjeu et que je relierais à l'inclusion. La pandémie a accéléré certaines transformations, elle a contraint des catégories qui n'étaient pas forcément concernées à digitaliser leurs process. Beaucoup de fonctions se transforment et c'est un vrai enjeu pour les entreprises, qui pour moi renvoie à un deuxième enjeu, la responsabilité sociétale des entreprises. Dans des périodes de grandes transformations, je considère que l'entreprise, et on a cette chance chez Edenred parce que c'est une partie de l'ADN, doit avoir des yeux un peu partout, pour s'assurer qu'on ne laisse pas trop de monde sur le quai de la gare ; et si on laisse des individus sur le quai de la gare, leur permettre de prendre le train suivant. Donc il y a un enjeu humain qui va avec le troisième enjeu pour moi, le développement des compétences des collaborateurs, soit pour s'adapter à ces enjeux de transformation, soit pour faire autre chose. Nous avons aussi une responsabilité par rapport à ça.
G.C.B : De votre point de vue, en général dans les entreprises, est-ce que c'est la pandémie qui a généré la transformation ou finalement la pandémie n'a été qu'un révélateur et un accélérateur de la transformation qui était de toute façon en cours ?
N.L : Il y a des niveaux de maturité très divers, selon le secteur d'activité, selon la gouvernance, selon si vous êtes un groupe international ou une PME familiale. II y a aussi une question de moyens. Mais pour moi, la pandémie a été un accélérateur, à la fois sur la culture, sur les outils, sur les façons de travailler. En cela, elle a eu un effet bénéfique.
G.C.B : Est-ce que la formation des managers ne fait pas partie des clés absolument essentielles pour améliorer l’expérience collaborateur ?
N.L : Certainement, les organisations ont été affectées par de nombreuses évolutions organisationnelles, dans des contextes de recherche d'efficience, de restructurations etc. Les organisations se sont trouvées réduites et le middle management s'est retrouvé être la courroie intermédiaire nécessaire, tiraillé entre l'opérationnel et la stratégie, les injonctions de la direction à devoir faire passer des messages parfois difficiles et de l'autre côté de devoir délivrer, assurer une productivité etc.
C'est pour moi une population à laquelle il faut vraiment prêter attention parce qu'ils sont le maillon indispensable. D’ailleurs, un parcours de formation pour du management ce n'est pas que de la formation : il y a des outils qui existent, mais le problème du manager c'est aussi un problème de temps, de positionnement dans l'entreprise, de reconnaissance… Il faut un accompagnement global.
G.C.B : Vous êtes DRH d'Edenred France donc probablement l'une des personnes les plus exposées depuis mars 2020. Avez-vous conscience que le regard et le rôle des DRH est passé d'un rôle fonctionnel à un rôle profondément stratégique sur le recrutement, la fidélisation, l'engagement ?
N.L : Oui, tout à fait. Mais pour ma part, j'ai toujours considéré que la fonction du DRH était une fonction stratégique, une fonction régalienne et stratégique...
Bien sûr, avec la pandémie, les DRH ont été sur le pont et un peu plus dans la lumière, dans le sens où ils ont montré une capacité à gérer les situations complexes, à prendre des décisions, à accompagner la stratégie dans un contexte très très contraint etc. J'espère que ça va durer et que le soufflé ne va pas retomber.
G.C.B : Ne croyez-vous pas que les difficultés de recrutement et de fidélisation vont faire que ça va durer ?
N.L : Je suis quelqu'un de très optimiste, malheureusement je trouve qu'il y a quand même encore beaucoup de vision ultra-financière dans les démarches et dans le pilotage des entreprises.
On parle de talents quand on prépare la présentation pour le comité de direction, mais au quotidien, la priorité est de trouver des candidats. Il y a une responsabilité des DRH d'avoir cette posture stratégique, business, et aussi donc de challenger l’organisation.
G.C.B : Est-ce que le phénomène de la grande démission est quelque chose, qui vous fait réagir ?
N.L : C’est de l’autre côté de l’Atlantique, mais effectivement c’est une réalité. Cependant on est culturellement moins attaché à l'entreprise et à tous les avantages quand on est aux États-Unis, que quand on est en Europe et en particulier en France. Je ne dis pas que ça n'arrivera pas parce qu’on le voit déjà, mais certains parlent de la fin du salariat... mais nous en sommes encore loin.
Aujourd'hui, je participe parfois à des débats sur ces sujets, et on reste sur des questions très hypothétiques, par exemple "Comment vous allez faire si jamais ça se produit et que tous les salariés veulent partir... et qu'il y a donc moins de salariat ou beaucoup moins...?"
Mais dans une entreprise aujoud’hui, un DRH gère déjà des CDI, des CDD, des intérimaires, des consultants, des étudiants, des stagiaires. On gère déjà une multitude de populations qui contribuent à l'entreprise avec des formes contractuelles différentes.
G.C.B : On entend beaucoup d'entreprises qui parlent de RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) comme l’arme fatale pour fidéliser. En quoi la RSE chez vous est vraiment un outil stratégique pour l’entreprise, qui va au-delà des enjeux de fidélisation ?
N.L : Je ne veux pas que la RSE soit positionnée à part avec ses propres outils, surtout pas. C'est un élément différenciant pour notamment des jeunes populations qui sont très attentives à la politique environnementale et éco-responsable de l'entreprise. Mais les engagements RSE ne doivent pas être qu’affichés, ils doivent être une réalité pour que l’expérience ne soit pas déceptive pour le candidat et contre-productive.
Je m'attache beaucoup plus à m'assurer que ce qu'on fait, fait effectivement sens, que la RSE est connectée au business, qu’on ne le fait pas uniquement pour l'engagement sociétal ou environnemental. La RSE doit servir autant le business que l'engagement. Si vous le faites uniquement parce que vous avez une fibre personnelle sociétale alors il faut vous lancer dans l'associatif.
G.C.B : Ce qui est intéressant, c'est que vous dites que la politique RSE que vous mettez en place a le même impact sur vous individuellement que sur les salariés ?
N.L : Je veux m'assurer qu'à tous les niveaux de l'entreprise on incarne les valeurs, notamment des valeurs de la RSE. Parce que cette entreprise est grande, elle a de très belles valeurs, une vraie démarche responsable. Mais l’enjeu en tant qu'employeur et DRH c'est vraiment que ça se diffuse partout.
G.C.B : Je trouve que Edenred mine de rien est relativement cohérent dans l'ensemble. Vous n'êtes pas une entreprise particulièrement polluante, vous êtes une entreprise qui peut travailler sur le pouvoir d'achat, dans une activité qui est plutôt saine.
N.L : Complètement, mais nous sommes dans une démarche éco-responsable, dans une démarche d'amélioration continue sur ces sujets.
G.C.B : Ma dernière question est à la fois simple et extrêmement compliquée. Cet ouvrage s'appelle « L'entreprise à la carte, fantasme ou réalité ? ». J'ai le sentiment que les salariés vont exiger d'être traités de plus en plus individuellement. Pensez-vous que c'est un fantasme ? Ou qu’il va falloir qu'on travaille pour que ça devienne une réalité ? Ou est-ce entre les deux ?
N.L : Spontanément j'allais vous dire c'est un fantasme. La réalité nous démontre en effet qu’il y a des aspirations qui tendent vers cela. Moi je pense qu'il faut un cadre. Hier encore, on se demandait s'il faut laisser une totale autonomie pour l'organisation du travail et des jours de télétravail. Je pense que quand on choisit de travailler dans une entreprise il y a des droits et des devoirs, il y a un cadre pour le bien collectif. Le contrat social c'est un contrat et je milite pour cela. Je pense c’est l’entreprise qui est capable de fixer un cadre, des règles pour la vie collective mais dans ce cadre permettre à chacun de trouver une forme d'autonomie, de liberté, de flexibilité.
Je ne pense pas être rétrograde en disant cela. Le cadre existe par la loi. Mais il est dans l'air du temps qu'il y ait de plus en plus de négociations au niveau de l'entreprise, que ce soit moins, l'Etat, les lois qui dictent l'organisation du travail. On va de plus en plus vers des discussions au sein de l'entreprise. De ce fait on aura aussi au sein d'une organisation plus de possibilités d'agilité pour organiser les conditions de travail, en fonction du besoin, de l'image, de l'activité, de la maturité, des moyens aussi.