Sortir la tête des dossiers, retrouver des collègues au restaurant ou à la cantine, partager ses problèmes professionnels ou évoquer les études de sa fille cadette… Nous nous connectons tous, plusieurs fois par semaine, au premier réseau social de l’entreprise : le déjeuner entre collègues. Spécialiste du plaisir au travail, la coach Sylvaine Pascual nous livre ici ses réflexions sur les vertus de l’exercice… et aussi sur ses limites.
Manager Attitude : Vous dirigez un cabinet de coaching spécialisé dans le « plaisir au travail ». Qu’est ce que cela signifie aujourd’hui ?
Sylvaine Pascual, Ithaque Coaching : J’aide mes clients à mieux articuler les différents temps de leur journée de travail. Vous savez que la recherche a abondement démontré qu’un salarié heureux est un salarié performant. Cela devrait donc intéresser toutes les entreprises et elles doivent évidemment prendre des mesures dans ce sens-là.
Néanmoins, je travaille surtout avec les individus. Qui viennent me voir dans des situations de recherche de mobilité, mais aussi d’amélioration de leur situation dans leur emploi actuel.
Ils sont dans une véritable quête de sens… parce qu’il y a justement une véritable perte de sens au travail. Nous pouvons en voir la traduction en chiffres, avec l’explosion du nombre des burn-out depuis trois ans. Et les subalternes ne sont pas les seuls concernés. Les managers aussi sont parfois perdus, pris entre des injonctions paradoxales : tenir des objectifs ambitieux d’un côté, s’assurer du bien-être de leurs collaborateurs de l’autre. Tout cela peut créer des relations très toxiques entre les personnes.
Manager Attitude : Quelle place accordez-vous à la pause déjeuner dans cette quête des salariés ?
Sylvaine Pascual : Précisons tout d’abord que je ne suis pas là pour donner des conseils, mais pour aider mes clients à assembler les différentes pièces du puzzle qu’ils ont pu explorer.
Le puzzle du travail est fondamental pour notre équilibre.
Parce que notre premier réseau social, c’est bien celui des gens qui nous y entourent. Déjeuner avec eux, cela permet de renforcer les liens professionnels mais aussi personnels, donc de solidifier le réseau. En plus, à un moment crucial de la journée, à mi-chemin en fait. Selon ce qui se passe alors, y compris au restaurant d’entreprise, vous allez en sortir ressourcé ou au contraire épuisé.
Mais attention, il faut que cela demeure un choix délibéré, et pas une obligation. Car sinon, ce réseau devient superficiel et hypocrite. Allons même plus loin, cela peut devenir douloureux lorsque vous vous obligez à déjeuner avec des personnes que vous n’appréciez pas.
L’inverse aussi d’ailleurs : la souffrance peut venir d’un sentiment d’exclusion, quand les collègues vont manger sans vous, qu’une équipe est trop soudée pour s’ouvrir à de nouveaux membres. Ces dimensions claniques sont difficiles à supporter pour ceux qui ne sont pas dans le réseau.
Manager Attitude : Il y a aussi le contenu des conversations ?
Sylvaine Pascual : Evidemment. Si vous passez votre pause de midi à parler boulot, vous effectuez juste une heure de travail en plus. Vous avez aussi le droit d’être mal à l’aise à l’idée d’évoquer votre vie privée, alors que l’ambiance du repas et les confidences de vos collègues vous y obligent presque.
Il y a enfin la question des ragots et des potins. Bien sûr, cela peut avoir des vertus de lâcher du lest sur l’entreprise, les collègues ou l’organisation. Mais encore une fois, l’excès en la matière peut se révéler nocif.
Manager Attitude : Je note que vous êtes finalement assez réservée sur les bienfaits de ces déjeuners entre collègues. Pourtant, les DRH aimeraient peut-être bien savoir ce qu’il s’y dit ?
Sylvaine Pascual : Effectivement, je considère que l’exercice présente plus de limites que de vertus. Mais il existe et c’est vrai que les RH aimeraient bien le contrôler. Elles aiment bien tout modéliser, de fait …
Je crois qu’elles doivent s’arrêter à la conscience de l’existence de ces déjeuners et du réseau qui se renforce ainsi entre certains collaborateurs. Mais elles n’ont pas la moindre légitimité, ni le moindre intérêt, à s’en mêler.
Manager Attitude : D’autant qu’elles mettent en place leurs propres réseaux sociaux d’entreprise ?
Sylvaine Pascual : Il n’y a pas de contradictions ou de porte-à faux entre ces RSE et ces réseaux informels de collègues allant déjeuner ensemble. Les RSE créent du lien entre des gens qui ne se connaissaient pas, mais ils ne gênent pas l’épanouissement des réseaux naturels. Ils seraient plutôt complémentaires.
Manager Attitude : Il est bientôt midi, l’heure du déjeuner. Au fait, vous-même, en tant que coach indépendant, n’avez pas vraiment de réseau pour aller déjeuner ?
Sylvaine Pascual : Détrompez-vous. Les réseaux sociaux professionnels publics sont le vrai café des indépendants, qui s’y regroupent par proximité professionnelle, géographique ou par affinités plus personnelles. Et cela débouche bien souvent sur de vrais rendez-vous, pour se rencontrer de visu… dans un restaurant le midi évidemment !
Manager Attitude : Et bien, bon appétit alors.