Combien sont-ils exactement ? Difficile de donner un chiffre, tant les profils des cadres à la recherche d’une nouvelle aventure professionnelle sont différents. Une chose est sûre : ils sont nombreux, de plus en plus jeunes et prêts… à en venir aux mains.
Peut-on réunir dans une même catégorie le DRH qui devient DSI en restant dans son entreprise, et le cadre commercial qui choisit de passer un CAP de tailleur de pierres ? Ou encore l’ancien directeur général de Stéria, François Mazon, qui a choisi de devenir avocat à 50 ans, suite à une garde à vue ?
D’autres choisissent des reconversions plus classiques, soutenues par Pôle emploi. C’est le cas de Béatrice Poilly, une ingénieure qualité lassée de voir les plans sociaux s’enchaîner dans son ancienne usine, qui a décidé de passer une agrégation pour devenir enseignante et ne « plus vivre dans la crainte de voir partir les collègues les uns après les autres ». Elle a pu cumuler les aides pendant son congé maternité puis les allocations chômage pour réussir son pari.
Changer de métier, c’est une question de tripes »
Béatrice Poilly fait partie des 50 % de Français qui souhaitent changer de vie, selon une série d’études menées par Ipsos. Les chiffres sont éloquents :
- 47 % des Français estiment « passer à côté de leur vie » ;
- 39 % affirment « une volonté de tout quitter et de changer de vie » ;
- 41 % aspirent à un nouveau métier qui correspondrait mieux à leurs valeurs ;
- 16 % souhaitent profiter de l’occasion pour améliorer leurs revenus.
Difficile de ne pas voir dans ces sondages le fossé qui se creuse entre les aspirations profondes des collaborateurs et ce qu’ils vivent dans leur travail. Les organismes de formation et les cabinets d’outplacement l’ont bien compris. Ils multiplient les offres d’accompagnement, avec généralement un triptyque composé d’un bilan de compétences, d’une formation puis d’un tutorat, assorti de recommandations classiques :
- Anticiper les contraintes du nouveau métier,
- Prévoir un plan B,
- Calculer précisément ses besoins financiers,
- Garantir l’équilibre familial.
Mais derrière ces plans soigneusement élaborés et l’intérêt financier de ceux qui les proposent, pointe aussi une réalité que dénonce violemment Sylvaine Pascual, fondatrice du cabinet Ithaque Coaching : « Ce genre de démarche ne mène pas loin, voire à l’échec. Depuis dix ans, de nombreux ouvrages sur la reconversion insistent inlassablement sur le ‘réalisme’ nécessaire, et l’indispensable ‘marché porteur’ à identifier en partant de ses ‘compétences avérées’. Pourtant, ce n’est pas comme ça que l’on réussit. Changer de métier, c’est une question de tripes bien plus que de raison et les reconversions trop raisonnables constituent souvent un aller simple vers la déception ».
Un virage à 360° pour les jeunes cadres très diplômés
Nous connaissons tous, dans notre entourage, un cadre qui désire changer de vie professionnelle – voire plus – mais qui renonce à faire le grand saut par manque d’opportunités, de moyens financiers ou… parce qu’il vient de bénéficier d’une promotion.
Mais les managers sont nombreux à prendre le mors aux dents. « Je suis notamment frappé, depuis quelques années, par l’arrivée d’un nombre de plus en plus conséquent de jeunes cadres, très bien diplômés, qui choisissent d’accomplir un virage, la trentaine à peine passée » explique Olivier Loustalan, coach indépendant qui accompagne les candidats à la reconversion et participe avec plusieurs confrères à la rédaction d’un blog sur ce thème. « Et ils acceptent de prendre de gros risques, financiers ou familiaux, pour se mettre en accord avec leurs aspirations ».
Le phénomène est récent mais l’APEC l’a mesuré dès 2015 et le verdict est édifiant : 14 % des Bac +5 changent d'orientation deux ans après leur diplôme.
Demain se vit à deux mains
Chez les jeunes comme chez les plus expérimentés, l’heure est au retour en grâce des métiers manuels. Axel Rokvam, qui s’est directement établi comme relieur après ses études de relations internationales et d’économie, explique au Figaro.fr qu’il peut y avoir d’abord une « approche hédoniste » à la reconversion manuelle, telle que la recherche d’une meilleure qualité de vie quotidienne, que le cadre croit déceler chez l’artisan. Il peut également vouloir « redécouvrir les limites de son corps, en faire l’expérience à travers son travail ». Enfin, l’envie d’exercer une activité manuelle peut également répondre à « un désir de voir immédiatement le résultat de son action ».
Autant de sensations perdues – ou jamais ressenties – dans un monde de cadres où rôdent l’ennui et la perte de sens. L’anthropologue américain David Graeber a même donné un nom à ces professions jugées inutiles : les bullshit jobs. Ajoutons-y un isolement croissant sur fond de dématérialisation des relations – avec les collègues comme avec les clients – et on comprend mieux pourquoi un livre comme Eloge du Carburateur, qui raconte le parcours d’un top consultant new-yorkais devenu restaurateur de vieilles motos dans un quartier populaire de la ville, rencontre un tel succès critique. En France, un manifeste des oeuvriers est également paru, en avril dernier.
Le Figaro.fr a ainsi retrouvé une ancienne directrice des achats d’un groupe de textile devenue mécanicienne spécialisée en restauration automobile, un ancien directeur financier chez Arcelor aujourd’hui ébéniste, une diplômée d’école de commerce qui reprend une pâtisserie, un couple d’anciens informaticiens aujourd’hui brasseurs artisanaux en Alsace. Ou encore ce diplômé d’HEC, qui a préféré reprendre une entreprise de plomberie où il peut mettre la main « dans le cambouis » plutôt que de rester dans son ancienne entreprise d’agro-alimentaire où les fusions acquisitions se succédaient, sans qu’il n’y trouve plus d’autre logique que celle de contenter les actionnaires.
Ne serait-pas cela aussi, la fameuse révolte des premiers de la classe qui intéresse tant nos sociologues ?