Motiver ses collaborateurs, ce n’est pas qu’une affaire d’argent. La reconnaissance peut et doit prendre de multiples formes. Le manager qui les maitrise, les équilibre et fait preuve d’équité, a tout à y gagner en leadership, nous explique le consultant Christophe Laval.
Enquête après enquête, le désengagement des salariés vis-à-vis de leur entreprise se révèle au grand jour, particulièrement en France. Et parmi les raisons régulièrement invoquées pour justifier ce désinvestissement, le manque de reconnaissance arrive en tête – et pas seulement au niveau des salaires.
« Les managers que je rencontre sont tous d’accord sur le constat de ce désengagement et du manque de reconnaissance, mais ils baissent les bras devant l’ampleur de la tâche ». Pour Christophe Laval, ancien DRH converti depuis plus de dix ans à cette nouvelle approche du management, consultant auprès de nombreux grands comptes français et conférencier, « des approches opérationnelles ont pourtant fait leurs preuves ». Notamment au Québec qui s’affirme, sur ce point comme sur celui du bien-être au travail, un territoire de réflexion d’avant-garde : « Ils savent mixer le pragmatisme nord-américain avec le respect de valeurs qui nous tiennent à cœur de ce côté-ci de Atlantique ».
Les quatre composantes de la reconnaissance au travail
Pour commencer, il n’y a pas une, mais des reconnaissances à considérer. Christophe Laval cite à ce sujet le professeur Jean-Pierre Brun : « Il y a la reconnaissance existentielle, celle qui concerne la personne et son comportement, ses valeurs. A l’autre extrémité, la reconnaissance des résultats, la plus évidente, car elle se raccroche à des objectifs. Puis la reconnaissance des pratiques de travail, notamment celle des expertises du collaborateur ; Et enfin, la reconnaissance de l’investissement, c'est-à-dire des efforts et de la prise de risque notamment ».
Reconnaître le travail fourni lors des compétitions perdues
Et il faut accorder une place à chacune d’entre elles. « Par exemple, tout miser sur la seule reconnaissance du résultat, sans valoriser les efforts, mène à ne récompenser que les appels d’offres gagnés par une équipe commerciale, sans reconnaître le travail fourni lors des compétitions perdues. Le risque est évidemment de démobiliser l’équipe pour de futurs projets. Pour prendre une analogie, imagine-t-on les spectateurs d’un match de football, qui ne se manifesteraient que lors d’un but, faisant silence absolu le reste du temps. Ce serait terrible pour les joueurs… ».
Les meilleures entreprises sont donc celles qui savent équilibrer les quatre formes de reconnaissance, et impliquer leurs managers dans la démarche. Il est important, pour en mesurer le succès, d’établir une cartographie des pratiques initiales, puis de renouveler régulièrement l’exercice afin d’aider les acteurs à constater les progrès réalisés.
« Cette cartographie révèle l’ADN de l’entreprise » poursuit Christophe Laval. Et pour le modifier, de nombreux outils sont disponibles. Par exemple, un changement de contenu dans les entretiens annuels, ou la création de comité de carrière pour des populations de non-cadres qui n’avaient jusque là pas accès à cet outil de management de leur évolution.
La reconnaissance au travail, au quotidien
Mais cette approche top-down ne peut pas tout résoudre. L’attitude quotidienne des managers avec leurs équipes s’avère essentielle. Sur le terrain, la reconnaissance n’est plus seulement dirigée du haut (l’encadrement) vers le bas (ses collaborateurs). « Elle s’exprime aussi latéralement, entre collègues et notamment parmi les nouvelles générations de collaborateurs. Et du bas vers le haut. Ici, on peut parler de charisme ou de leadership du management ».
Reste à agir concrètement. Christophe Laval constate deux attitudes majoritaires : « soit le cadre est persuadé qu’il fait déjà tout ce qu’il doit faire ; soit il a conscience de ses déséquilibres dans la manière de démontrer sa reconnaissance, mais ne sait comment les résoudre ».
Authenticité, réactivité, confiance
Pour débloquer la situation, le consultant mise sur trois dimensions :
- Etre authentique, sincère: si le manager ne croit pas aux vertus d’une stratégie de reconnaissance élargie et équitable, autant qu’il ne s’y frotte pas. « Sinon, on passe du côté de la manipulation, et les effets boomerang peuvent être délétères ». Reste à savoir libérer ses émotions, et à se livrer. Mais cela s’apprend.
- Réagir, réguler, innover: mieux vaut se donner des règles, et pour commencer : privilégier la réactivité. La reconnaissance trop tardive est contre-productive, car elle apparait comme artificielle. A l’inverse, la mesure de ce que l’on dit ou fait, même spontanément, permet de construire un cadre méthodologique et de préparer des réactions cohérentes, donc apparaissant comme équitables, lors de situations analogues ultérieures. Ce cadre global ne doit surtout pas empêcher le manager d’innover, soit sur la cause de la reconnaissance, soit sur sa modalité– une idée intéressante par exemple, pourra être récompensée par une invitation à participer à un comité de réflexion.
- Confiance versus contrôle: « Même si le système éducatif français nous induit à manager par le contrôle, ce que je reconnais bien souvent en conférence pour déculpabiliser les participants, il faut se défaire de ce réflexe et baser le management des hommes sur la confiance » souligne Christophe Laval. L’entreprise ainsi « libérée » associe plus facilement ses collaborateurs au changement, les écoute, les invite à co-construire l’avenir. « Ce sont aussi celles qui équilibrent le mieux les quatre formes de reconnaissance ».
Des résultats palpables
Christophe Laval, qui intervient aussi bien dans des entreprises de services (Coliposte, MEDIAPOST), de l’agro-alimentaire (Pernod Ricard), de l’IT (Inria) ou encore du secteur public (CHU de Dijon, Ville de Lausanne) évoque d’abord des diminutions très visibles de l’absentéisme. Sans compter la nette remontée des indicateurs d’ambiance et de bien-être au travail. « Dans reconnaissance, il y a connaissance » conclut-il. « Le secret des managers qui réussissent tient bien souvent à cette capacité qu’ils ont eu de faire, en toute lucidité, un travail d’analyse de la connaissance et de la confiance qui existaient entre eux et les autres ».
Dans reconnaissance, il y a connaissance