Les stars du ballon rond ou les vedettes du CAC 40 méritent-elles leurs salaires mirobolants ? Ne faut-il pas davantage de rémunération au mérite dans la fonction publique ? Les entreprises savent-elles reconnaître et promouvoir le mérite, individuel et collectif ? Autant de questions lancinantes qui nous montrent l’importance de cette valeur morale dans les organisations d'aujourd'hui.
Au commencement était la récompense
Qui n’a conservé dans le tréfonds de sa mémoire le souvenir d’une punition totalement imméritée à l’école ou dans le cercle familial ? De la mention « Elève méritant, mais résultats trop justes » ? La notion de mérite et de récompense, fondatrice dans l’institution scolaire, renvoie à nos affects les plus primitifs : elle a en effet partie liée avec la sensation de plaisir et de déplaisir, le sentiment de justice ou d’iniquité, elle nous détermine à nous engager dans une tâche si nous en attendons succès et reconnaissance, ou à nous désinvestir à proportion si nous sentons que notre mérite ne sera pas payé de retour.
On comprend donc le rôle crucial du mérite dans le monde de l’entreprise. Notation des salariés, Management by Objectives (MBO), « Merit Rating », etc., illustrent son importance dans la gestion des hommes et la conduite des organisations.
Etymologiquement, le terme latin meritum signifie le gain, le salaire, et finalement l’acte que l’on entreprend en vue d’un avantage. Le mérite doit donc être, intrinsèquement, générateur d’un bénéfice quelconque ; même s’il est difficile à mesurer et à rémunérer à son juste prix, il doit être encouragé et gratifié partout où il se manifeste.
Du bleu pour le dire
"Désormais, nous aurons deux ordres, l'un rouge, l'autre bleu, aux couleurs de notre drapeau." En 1963, le président de Gaulle annonce la création d’une nouvelle distinction honorifique. L'ordre national du Mérite devient le second ordre national après la Légion d’honneur.
Lire aussi : Motiver mieux en dépensant moins : Napoléon et la Légion d’honneur
A ce jour, l’Ordre compte près de 190 000 membres, civils et militaires. Il consacre les « mérites distingués » qui concourent au rayonnement et au dynamisme de la France. Sa vocation ? "Traduire le dynamisme de la société", "donner valeur d'exemple" et "reconnaître la diversité". Stimuler les énergies, les bonnes volontés, l’innovation.
Toutes qualités qui ont toute leur place dans le monde de l’entreprise. Et nombreux sont les dirigeants, cadres, artisans, libéraux, etc., à avoir reçu le Mérite. En y ajoutant pour certains d’entre eux le Mérite agricole, le fameux « poireau ».
Mais voilà : dans la plupart des organisations, les collaborateurs aspirent à des récompenses plus palpables, de nature sonnante et trébuchante (mais pas seulement). Et cela tombe bien car, pour imparfaite qu’elle soit, la reconnaissance du mérite peut revêtir des formes très diverses.
Le manteau d’Arlequin de la reconnaissance du mérite
Des paroles agréables que vous adressez à vos collaborateurs, des distinctions honorifiques comme les médailles du travail que vous leur remettez, c’est bien. Est-ce suffisant ?
Non, car les salariés comprennent d’instinct que le mérite doit être payé de retour. Meritum ? Argentum ! Sous forme de prime, par exemple. De stock-options, d’actions de performance pour les plus chanceux, de « golden hello » et autres « golden parachute » pour une petite élite de hauts dirigeants au talent et au mérite sans pareil (ou supposé tel). Ou de promotion professionnelle, synonyme de progression salariale. Ou encore de compléments de revenus liés aux performances collectives, tels qu’intéressement et participation.
Mais la gratification du mérite n’est pas uniquement financière. La qualité du cadre de travail en fait partie. Associer ses collaborateurs à la nouvelle déco des bureaux, améliorer l’ordinaire (un distributeur de bon café, un baby-foot au design élégant, une ambiance musicale cosy, des salles de sport, des cours de yoga gratuits …) fait partie du package « mérite ». « De beaux bureaux, parce que je le vaux bien ! »
Invitations à des spectacles, séminaires « incentive », kick-off spectaculaire et voyages paradisiaques pour les plus performants, mise à disposition d’une conciergerie d’entreprise et de nombreux services facilitant le quotidien du salarié : ces initiatives sont aussi de mise.
Et l’équilibre vie privée - vie professionnelle ? Même combat ! Je mérite de me ressourcer, j’ai le droit de faire des breaks « bien mérités », j’ai aussi toute légitimité à travailler à distance : cette marque de confiance de l’employeur, je la mérite et j’en suis digne.
Quant au tableau d’honneur qui porte au pinacle « le salarié du mois », cette pratique largement importée des Etats-Unis (mais qui était également très en vogue en URSS…) rappelle tout aussi bien l’école de nos parents. Celle des bons points, des images et d’une « méritocratie » qui a fait ses preuves.
Le mérite, mais encore ?
Le malheur veut que certains mérites bien réels ne soient jamais reconnus à leur juste valeur. D’où incompréhension, sentiment d’ingratitude, tensions dans l’entreprise, mal-être, démotivation, stress ou pire.
Il faut dire aussi que toutes les performances ne sont pas aisément quantifiables. Par exemple, comment mesurer le niveau de bienveillance, d’empathie, d’intelligence émotionnelle et relationnelle d’un collaborateur, son aptitude à créer la bonne humeur ou à prévenir des conflits ?
L’auteur « méritant » (car travailleur acharné) d’un dictionnaire canonique, Emile Littré, définissait le mérite comme « ce qui rend une chose ou une personne digne de récompense ou de punition ». A cette aune, rien de plus important que l’évaluation et le juste traitement du mérite dans le management des hommes. Question d’autorité, d’efficacité, de leadership, de performance et de justice. A chacun(e) selon son travail, sa contribution, son talent, son mérite ? Et pourquoi pas ? C’est là le programme des sociétés démocratiques et des entreprises qui tablent davantage sur les capacités personnelles que sur le diplôme, l’ancienneté ou un statut social. Leur programme et leur honneur.