Depuis sa création, l'association WBMI - Women Business Mentoring Initiative - a conseillé une centaine de dirigeantes dont les sociétés réalisent entre 1 et 30 millions d'euros de chiffre d'affaires. Annie Combelles, Présidente du Conseil de surveillance d’Inspearit, spécialiste de la transformation agile et digitale des organisations, a aujourd’hui huit mentorats à son actif. Elle y trouve un grand plaisir. Car si le mentor apporte beaucoup à sa mentorée, c’est bien une relation de bénéfice réciproque qui s’installe pour un enrichissement mutuel.Témoignage croisé mentor et mentorée.
Annie Combelles est la mentor d’Anne-Marie Gabelica, elle-même présidente et fondatrice de Oolution, entreprise de produits cosmétiques bio, dans le cadre du programme de mentoring de l’association WBMI (Women Business Mentoring Initiative). Un programme de mentorat qui s’adresse aux s’adresse exclusivement aux femmes entrepreneures dont la société a plus de trois ans d’existence.
Soutenir l’entrepreneuriat féminin
« Souvent les femmes sollicitent notre programme car leur entreprise se trouve dans une période de transition, ou s’apprête à en connaître une : croissance forte, taille critique, transmission, ouverture du capital, etc. » explique Annie Combelles. Dans ces moments charnières, le besoin est fort d’être épaulée. Anne-Marie Gabelica en témoigne : « Le mentoring m’apporte un soutien inestimable. On se sent souvent un peu seul-e quand on dirige une entreprise, c’est très important de se sentir entouré-e. Le regard extérieur du mentor est bénéfique, elle m’aide à sortir la tête du guidon, à prendre du recul sur mes interrogations, elle me force à me poser pour réfléchir et avancer. »
Les entreprises suivies ont toutes nécessairement au moins trois ans d’existence. « Après trois ans de vie d’une entreprise, c’est le vide intersidéral en termes d’accompagnement, d’aides ou de support à l’entreprenariat. Or nous savons d’expérience qu’il s’agit d’un moment critique » explique Annie Combelles.
Mentorat ou coaching ?
Il s’agit de deux approches différentes de l’accompagnement. Pour Annie Combelles, là où le coaching s’attache à la personne coachée, à son attitude, à ses projets, dans une dimension personnelle et humaine, le mentoring fonctionne davantage comme un miroir pour l’entrepreneur dans son activité professionnelle. « On renvoie à la mentorée l’image de ce qu’elle veut faire, en la challengeant. Le sujet, c’est vraiment l’entreprise : le business plan (comment es-tu arrivée à ces chiffres ?), les décisions de croissance, d’investissement… bref, on s’attache à challenger la mentorée sur l’aspect technique des choses, en lien avec la gestion de son entreprise » résume Annie Combelles. Et aussi – surtout ? : «contrairement au coaching, le mentoring est bénévole» rappelle Annie Combelles.
Une relation de confiance
«Le regard du mentor est très bienveillant, il y a beaucoup de confiance entre nous» explique Anne-Marie Gabelica. «Elle me fait comprendre mes forces et sait m’appuyer pour aller plus loin».
«Coup de boost, élan, progression sur les points clés, accélération… le mentoring m’a apporté tout cela et plus encore. Nous entretenons du reste un contact régulier qui a perduré au-delà de la durée du programme.» Le mentoring ouvre une porte qui ne se referme pas, celle d’une véritable équipe. «Si en tant qu’entrepreneur je fais partie d’une communauté, et en tant que mentorée je me sens intégrée une équipe».
Partage et gratuité
«Le mentor est là pour aider la mentorée à accoucher de sa solution, pas pour la pousser à la décision ou trancher pour elle » précise Annie Combelles. Ainsi le mentor ne peut en aucun cas investir dans la société, pour éviter tout conflit d’intérêt ou prise de contrôle. Un point qu’apprécie particulièrement Anne-Marie Gabelica: «le mentorat se fonde sur un principe formidable, celui du partage et de la gratuité. Les mentors le font par générosité, leur seul intérêt, c’est le lien social. Comme ils ne peuvent pas prendre de parts, il n’y a aucune ambiguïté. » Ce point est l’un des socles de la charte éthique que s’engagent à respecter mentors et mentorées chez WBMI.
L’accompagnement dure entre 6 et 18 mois, à raison d’une rencontre par mois - mais le lien se maintient souvent bien au-delà, à l’instar de la relation de confiance qui s’est établie entre nos deux témoins.
Comment s’opère le choix des mentorées ?
La lecture du dossier déposé par les candidates permet de dégager un certain degré d’affinité pour un business et une problématique, «ensuite, c’est lors de l’entretien que l’on choisit sa mentorée. Il faut que le courant passe, et il s’agit d’un choix réciproque».
A lieu alors un oral devant 3 mentors. «L’objectif principal est d’évaluer la capacité de la personne à écouter et à se remettre en question» explique Annie Combelles, «il faut de l’ouverture, de la curiosité, une capacité à changer, pour le bien de son entreprise.Nous savons que nous ne pourrons rien faire pour une personne figée et sûre d’elle.» Malgré une immense majorité de réussites - «et c’est tellement gratifiant», il arrive pourtant que des échecs adviennent. Ainsi, Annie Combelles se rappelle d’une mentorée : «pendant tout le programme, j’ai eu l’impression de me battre contre son compagnon. Jaloux de sa réussite, toxique, il avait une influence sur elle que je n’ai pas pu contrer. On ne pouvait pas s’en rendre compte lors de l’entretien.»
Pourquoi un mentoring de femmes par les femmes ?
«Nous avions constaté qu’il était encore plus compliqué pour une femme que pour un homme de créer et conduire une entreprise » explique Annie Combelles. Sans oublier la persistance de barrières sociétales concernant la montée en carrière des femmes et leur aptitude à oser. «De fait, nous passons les six premiers mois d’un mentoring à leur donner confiance, en elles, en leurs capacités à mener leur entreprise, à prendre des décisions. C’est fou comme elles sont continuellement en train de se dénigrer, comme elles n’osent pas» s’indigne Annie Combelles. «On rencontre la même problématique en entreprise.Les choses évoluent depuis 2010, de plus en plus de femmes créent des entreprises, mais il y a toujours un déficit fort.»
Pour Anne-Marie, le fait que le programme soit dédié aux femmes a constitué un argument décisif: «Le milieu entrepreneurial est très masculin, j’apprécie d’avoir un accompagnement dédié aux femmes. J’avais aussi envie d’un mentor femme. Sa réussite est une véritable source d’inspiration pour moi. Nous avons des problématiques communes, sur différents aspects de nos vies, autant professionnels que personnels» résume-t-elle. Le fait d’avoir toutes d’eux une formation d’ingénieur a aussi contribué au rapprochement.
«On se rend compte que nos mentorées nous considèrent comme des «role models», elles voient que nous avons connu des parcours similaires, que nous sommes passés par les mêmes étapes, et cela les rassure » analyse Annie Combelles.
Donner confiance à une force vive
Le mentoring des femmes apparaît comme une façon positive de travailler à l’empowerement d’une partie non négligeable de la force de travail – les femmes – encore trop largement sous-valorisée. Pour la fondatrice de l’association WBMI, Martine Liautaud, les mentors participent d’ailleurs à construire des «individus qui s’inscrivent dans une perspective durable de développement de leur entreprise pour l’économie du pays.»
Le mentoring devient un véritable engagement citoyen en faveur de l’égalité femmes-hommes. Le succès de WBMI a conduit à la création de Women Initiative Foundation (WIF), pour agir davantage encore en ce sens. Il s’agit d’un fonds de dotation soutenu par ENGIE, BNP Paribas et des donateurs privés, qui vise à devenir un acteur clé pour l’amélioration de la place des femmes dans la vie économique. Sur le site de la WBMI, Martine Liautaud explique ainsi: «toutes les femmes ne sont pas chefs d’entreprises et beaucoup sont bloquées dans leur progression, dans leur rémunération ou dans leur accès au management, pour des raisons culturelles. Les stéréotypes ont la vie dure et j’ai voulu contribuer à une meilleure information du public sur cette situation qui ne se fonde sur aucun élément objectif, et qui prive l’économie de talents et d’énergie à un moment où le besoin s’en fait criant.»
Comme en écho, Annie Combelles, ingénieure Sup'Aéro, s’interroge sur un état de fait: «environ 20% des élèves des grandes écoles scientifiques sont des filles, mais on ne le retrouve pas dans les entreprises. Où sont-elles passées ?». La question est posée, et une enquête européenne a été diligentée par la WIF pour y répondre courant 2017.
Pourquoi, comment devenir mentor ?
Les mentors de WBMI sont des hommes et des femmes qui ont réussi dans l’entreprise, des experts dans leurs domaines. Pour être mentor, «il faut avoir une grande curiosité, ne serait-ce que parce qu’une de nos règles impose qu’on ne suive que des entreprises issues d’autres environnements que le sien» annonce Annie Combelles. «Il faut aussi une grande envie d’aider et de transmettre» ajoute-t-elle. Nous pensons que si nous ouvrons nos réseaux à nos mentorées, nous pouvons contribuer à trouver des solutions à leurs problèmes» s’enthousiasme Annie Combelles.
«Être mentor nous amène à nous remettre nous aussi en cause, et à sortir de notre train-train.» Un tandem gagnant-gagnant, finalement. N’y a-t-il aucun prérequis pour devenir mentor ? «Dans notre association, nous nous connaissons bien, nous fonctionnons un peu par cooptation » reconnaît Annie Combelles. «S’il n’y a pas de pré-requis d’âge, l’expérience est clé. Nous préférons aussi éviter que les mentors soient des retraités, parce que, réellement, une fois à la retraite on ne voit plus les choses de la même manière et on se déconnecte rapidement.»
De son côté, Anne-Marie Gabelica se projette déjà dans le rôle de mentor, pour pouvoir à son tour accompagner des entrepreneur-e-s : « J’aimerais devenir mentor, mais je ne me sentirai prête que lorsque j’aurai fait mes preuves dans mon entreprise, que j’aurai réussi » résume-t-elle.
Annie Combelles est Présidente du Conseil de surveillance et fondateur du cabinet Inspearit, société de conseil opérationnel spécialiste de la transformation agile et digitale des organisations. Diplômée de Sup'Aero, Annie Combelles a mené sa carrière comme chef de grands projets avioniques chez Airbus puis dans des grandes entreprises comme Thalès et le CEA. Depuis 1988 elle est éditeur associé de la revue IEEE Software et depuis 2004 elle appartient au Board of Governors (comité directeur) de l'IEEE Computer Society. Annie Combelles est Chevalier de la Légion d'Honneur.
Pour aller plus loin :
La boîte à outils d’un mentoring réussi
Mentoring, Femmes et Carrière professionnelle : Déconstruire les mythes de l’entreprise