Prêter de l’argent à un salarié ? La démarche est significative d'une confiance réciproque, et elle peut compléter utilement d’autres facilités comme l’avance sur salaire. Mais elle doit respecter une réglementation précise. Sans compter quelques règles de bon sens, qu’il n’est pas inutile de rappeler.
Comme salarié ou comme manager, cela nous est arrivé à tous au moins une fois de demander ou d'accorder un coup de pouce de trésorerie. Aider un salarié financièrement, c’est un geste de management fort, et même un beau geste tout court. Mais contrairement à nos actes généreux du quotidien, celui-là obéit à des règles bien précises. Les méconnaître, ou les oublier, c’est s’exposer à des déconvenues au moment du remboursement, voire à d’éventuelles pénalités sous forme de cotisations sociales.
A-t-on le droit de prêter de l’argent à un salarié ? Oui, mais…
En France l’octroi de prêt est normalement réservé aux établissements bancaires. Le seul qui peut déroger à ce monopole des établissements de crédit, est justement l’employeur. Mais il doit pouvoir démontrer qu’il s’agit d’opérations exceptionnelles et motivées par des considérations d'ordre social (difficultés financières du salarié, situation familiale particulière...)
Si cette pratique est bien ancrée, c’est aussi, comme le rappelle Maître Joan Dray que «un salarié a plus de facilité à obtenir un prêt de son employeur, dans des conditions souvent plus avantageuses, dans des délais de temps plus restreints, et avec des modalités de remboursement négociées». Tout autant, « le prêt au personnel permet à l’employeur d’aider le salarié à faire face à des événements qui peuvent avoir des répercussions sur les conditions de travail (stress, fatigue, dépression…). Il est relativement sûr, du fait de la proximité entre le prêteur et l’emprunteur, et offre des garanties certaines en matière de recouvrement de créances ».
Montants et intérêts
Il n’y a pas de limites aux sommes prêtées, ni de taux minimal ou maximal pour d’éventuels intérêts. Néanmoins, il faut signaler ici que l’Urssaf a récemment défrayé la chronique en Alsace, en requalifiant des prêts sans intérêts comme salaires déguisés (pour la somme correspondant aux intérêts non perçus par l’entreprise). Et en demandant du coup à l’employeur de s’acquitter de charges sociales sur cette fraction.
La spécialiste des rémunérations, Céline Huet, avocate associée chez Chassany Watrelot Associés, rappelle au passage que le chemin est étroit entre l’avance sur salaire et le prêt. C’est tellement vrai que selon elle, « depuis longtemps, la jurisprudence assimile le prêt sans intérêts d'un employeur à son salarié à une avance sur salaire ». Il faut donc écarter toute ambiguïté dans les documents rédigés lors de sa mise en place.
Formalisation du prêt par écrit : pas toujours obligatoire, mais toujours raisonnable
Un écrit n’est normalement obligatoire que pour les prêts consentis supérieurs à 1500 € (art 1341 du Code civil) ou ceux pour lesquels l’employeur percevra des intérêts supérieurs au taux légal. Mais tous les avocats écrivant sur le sujet conseillent d’en rédiger un, y compris pour une somme inférieure. « Cela permet de clarifier les obligations de l’employeur prêteur et du salarié emprunteur » estime ainsi Joan Dray. Et, au passage, d’éviter que « les juges (…) requalifient le prêt en avance sur salaire avec toutes les conséquences de droit qui en découlent ».
Dans ce document, à signer évidemment par les deux parties, il faudra préciser notamment, outre le montant et le taux d’intérêt pratiqué :
- la durée du prêt,
- l'objet du prêt (sa motivation sociale), afin de démontrer l’absence de lien entre ce prêt et l’accomplissement d’un contrat de travail,
- les modalités de remboursement (délais et moyens). A noter que l’employeur ne peut imposer des prélèvements sur salaire. En effet, « les dettes du salarié (contrat de prêt) et le salaire versé par l’employeur en contrepartie de sa prestation de travail résultent de deux contrats distincts. Vous ne pouvez pas procéder de votre propre initiative à une retenue sur salaire » rappellent les éditions Tissot,
- un tableau d’amortissement,
- le sort du prêt en cas de rupture du contrat de travail.
L'oeil de Bercy
Le prêteur (employeur) est tenu de déclarer au fisc tout prêt consenti à un salarié, dont le montant excède 5000 euros (plafond relevé en 2020, selon l'arrêté CCPE2020888A). De son côté, le salarié ne devra pas oublier de faire de même, en utilisant l'imprimé fiscal n° 2062. L’enjeu ? L’intégration à ses revenus de ce qu’il a gagné en intérêts non payés, en contractant un prêt dont le taux est inférieur aux taux légal en vigueur. Les taux directeurs étant actuellement au plus bas, la question est moins cruciale.
Le cas de la rupture de contrat
Contrairement à ce que le bon sens pourrait laisser croire, le départ du salarié de l’entreprise ne rend pas le prêt immédiatement exigible, sauf si cette possibilité a été prévue au contrat de prêt.
Dans le cas contraire, il est possible toutefois de retenir un maximum de retenue de 10% sur le salaire. Mais cette limite ne s’applique qu’au salaire. Si le salarié bénéficie par ailleurs d’indemnités de licenciement, le solde du prêt peut être prélevé sur cette partie de ce qui lui est dûe.
Acomptes, avances, prêts par le Comité d’Entreprise : les autres solutions
Si la solution du prêt vous parait compliquée, ou hasardeuse, il n’est pas inutile de rappeler ici trois autres mécanismes permettant d’aider un salarié.
- L’acompte consiste à verser à un salarié la rémunération d’une période de travail déjà effectuée, mais avant l’échéance normale de paie. Par exemple, un demi-salaire au 15 du mois.
- L’avance consiste à verser une partie du salaire alors que le travail correspondant n’a pas encore été réalisé par le salarié. Par exemple, un treizième mois habituellement versé en décembre peut être débloqué plus tôt dans l’année.
- Le prêt par le Comité d’Entreprise : Celui-ci, lorsqu’il existe, peut définir une politique de prêts aux salariés, dans le cadre de ses activités sociales et culturelles. Mais il devra lui-aussi respecter des règles strictes concernant le montant, les conditions d’attribution, les intérêts, etc. Et bien entendu, une fois ce cadre défini, s’y conformer scrupuleusement sous peine de tomber sous l’accusation de discrimination à l’encontre d’un salarié éventuellement lésé.
Un geste fort, une confiance réciproque
Pour conclure, et même si cette liste de recommandations peut paraître rébarbative, il reste que le prêt consenti par un employeur à son salarié constitue un geste fort. Si les sommes sont rarement importantes, l’aide apportée dans des moments difficiles revêt une dimension symbolique forcement positive. En tant que dirigeant d’entreprise, c’est le moment de démontrer son attachement à un collaborateur. C’est pourquoi nous ne saurions trop vous conseiller d’apporter une réponse aussi favorable (et rapide) que possible, et de développer une écoute attentive – pourquoi pas proactive via la DRH ? - à ces demandes qui, elles-aussi, démontrent la confiance que le salarié vous porte.