Lors de ses déplacements professionnels, le voyageur a la possibilité de profiter des programmes de fidélité proposés par les compagnies aériennes. Il accumule ainsi des Miles, qui peuvent ensuite être utilisés à titre personnel. Ces Miles aériens ont-ils une valeur marchande, et constituent-ils, de fait, un avantage en nature ? A ce titre, pourquoi échappent-ils à la fiscalisation des autres avantages en nature ? Et est-il légitime que le salarié engrange à titre personnel de tels avantages, alors que c’est l’entreprise qui engage les dépenses ?
L’avantage voyage le plus apprécié
Le cumul de Miles à titre personnel est perçu par les salariés et les employeurs comme la contrepartie des conditions de vie réellement difficiles que connaissent tous les voyageurs à titre professionnel (décalage horaire, vols de nuit, brièveté des déplacements). Les Miles représentent ainsi l’avantage le plus valorisé par les voyageurs, selon le baromètre du voyage d’affaires réalisé chaque année par 3Mundi : pour 87% des répondants, « Cumuler des Miles pour en profiter pour des projets personnels » est le principal avantage d’un voyage d’affaires.
« La collecte privée des Miles est le retour sonnant et trébuchant des efforts demandés pour se déplacer. La fameuse pointe de l'iceberg visible par toute la famille ». Ce n’est pas Jean, cadre dirigeant récemment retraité d’une compagnie pétrolière, qui dira le contraire : « Lors de mon dernier poste, je passais minimum 3 nuits par semaine dans l’avion, sur des longs courriers à travers toute l’Asie. Si les conditions de voyage étaient les meilleures possibles, la fatigue était bien au rendez-vous. La collecte de Miles à titre personnel aidait à adoucir les choses : grâce à ces voyages et aux programmes de fidélité, j’ai pu, à plusieurs reprises, offrir de très beaux voyages à l’ensemble des membres de ma famille. Maintenant que je suis à la retraite, je sais que cette époque s’achève, mais je suis heureux d’avoir pu en profiter » témoigne-t-il.
Un avantage acquis pour beaucoup, mais pas immuable
Comment Jean aurait-il pris que son entreprise décide de conserver les Miles générés par ses déplacements ? « Je ne me suis jamais posé la question, je pense que le plus important était de voyager dans de bonnes conditions pour être efficace au travail. Les miles étaient un peu la cerise sur le gâteau, leur suppression aurait été un peu désagréable, mais compréhensible… » dit-il.
D’autres, comme Isabelle, cadre commercial dans une entreprise du BTP, ont récemment fait face à un tel changement de politique : « Désormais, les Miles accumulés dans le cadre des voyages professionnels devront être utilisés dans le cadre professionnel, et non plus à titre privé comme c’était l’usage jusqu'ici. Je vais aussi devoir "rendre" les miles que j’avais accumulés jusqu'à ce jour. Mes collègues et moi avons un peu fait la grimace, mais nous avons fini par nous dire que nous en avions bien profité jusque-là. Maintenant c’était terminé. In fine, ça peut sembler logique que ces Miles bénéficient à l’entreprise, qui assume les dépenses… »
Une pratique qui n'est pas évidente partout
Si la pratique en France est communément acceptée, il n’en va pas de même partout. Ainsi en Allemagne, en Autriche ou encore dans les pays Scandinaves, les Miles obtenus lors de voyages professionnels sont reversés à l’entreprise, qui en fait usage, ensuite, pour obtenir des billets professionnels moins onéreux, ou, mais moins souvent, pour les redistribuer à ses employés, au même titre que des primes ou des gratifications.
En Allemagne, si les Miles sont utilisés à titre privé par le salarié pour acquérir des billets prime, ils sont considérés comme un avantage en nature et sont donc imposables au titre de l’impôt sur le revenu. « En Allemagne, en Autriche, il existe une jurisprudence de fait sur ce sujet, qui a toujours été en faveur de l’entreprise, explique Ravindra Bhagwanani, dirigeant de Global Flight, entreprise qui assiste les entreprises sur ce sujet en particulier. Une position qui semble logique. En France, aucune jurisprudence n’existe, et les Français sont très attachés à cet avantage » poursuit-il. « Pourtant, un billet prime acheté avec des Miles constitue, de fait, un avantage en nature, déclarable en tant que tel auprès des autorités fiscales » ajoute-t-il encore.
Une pratique encore peu répandue en France. D'une part parce que les programmes de fidélité, notamment celui d’Air France, est bien bâti juridiquement pour éviter que les entreprises se l'approprient. D'autre part, parce que l’on considère que les Miles sont une sorte de récompense pour les voyageurs en compensation de leur investissement personnel, et de leur fatigue.
Taxation : un statu quo fragile
En février 2012, le magazine Déplacements Pros soulevait ce serpent de mer qu’est la taxation des miles aériens. La Cour des Comptes pointait alors les miles comme des avantages en nature. Echappant à tout contrôle fiscal, ils ont pourtant un coût : « les compagnies aériennes ou ferroviaires provisionnent sur leur bilan des dépenses d’exploitation pour un service - gratuit - qui a pourtant un coût pour l’opérateur qui le propose ». Une pratique déjà en place, par exemple aux Etats-Unis, où Citibank adresse à ses clients qui disposent d’un compte miles un résumé de leurs points accompagné d’une valeur fiscale pour transmission aux services fiscaux.
Selon le Journal Officiel du Sénat, « juridiquement, l'attribution de miles par les compagnies aériennes n'est pas par nature différente des cadeaux ou rabais accordés afin de fidéliser leur clientèle par les commerçants. (…) Cette pratique ne constitue pas juridiquement, un abus de bien social, prévu aux articles L. 241-3 et L. 242-6 du code du commerce. En effet, les miles, dont l'attribution est un accessoire du contrat de transport, appartiennent, non à l'entreprise, mais au salarié. L'employeur, même s'il acquitte le prix de la prestation, n'assure que la représentation du salarié vis-à-vis de la compagnie et n'est pas partie au contrat. » Le JO du Sénat ajoute que « toutefois, une entreprise par son règlement intérieur, auquel le salarié a adhéré en signant son contrat de travail, ou l'administration par un acte réglementaire, pourrait imposer à leurs agents l'utilisation des "miles" au profit de l'organisme qui les ont financés. »
« En Autriche, les contrôles fiscaux ont été accentués depuis dix ans et portent notamment sur les billets primes » note Ravindra Bhagwanani…
Le risque de l'intérêt personnel avant celui de l'intérêt de la société
Pour les entreprises, où se situe le potentiel écueil ? En réalité, il s’agit à la fois d’un souci d’attitude des salariés qui voyagent et d’un potentiel d’économies non négligeable dans une période morose. « Soit on laisse les Miles aux voyageurs et ils en font ce qu'ils veulent, soit l'entreprise les collecte pour réduire son budget aérien, résume Ravindra Bhagwanani. C'est dans cette deuxième logique que se positionne Global Flight : si on ne fait pas cela, les voyageurs accumulent les Miles, sont incités à en accumuler toujours plus et entraînent des coûts supplémentaires directs pour l'entreprise. » Global Flight estime qu’en changeant de politique d’utilisation des miles, les entreprises peuvent réduire leur budget aérien, avec une économie directe de 10 %. Selon les structures et les accords avec les compagnies, cela peut aller jusqu'à 20 %.
L’idée, également, est de mettre en place une attitude plus saine de la part des voyageurs, qui peuvent se laisser tenter et privilégier leurs propres programmes de fidélité aux dépens de tarifs les plus intéressants pour l’entreprise. « Les voyageurs n'auront plus d'intérêt personnel à privilégier Air France et ils se tourneront uniquement vers les meilleures offres », poursuit le directeur de Global Flight.
Les entreprises peuvent également profiter des programmes de fidélité mis en place à leur attention par les compagnies aériennes : c’est le cas de “Star Alliance+” pour les compagnies de Star Alliance ou “BlueBiz” pour Air France-KLM, Alitalia et Delta. BlueBiz est exclusivement réservé aux PME, et leur permet de transformer les « Blue Credits » en billets primes afin de réduire leurs dépenses voyage. L’entreprise gagne des points sur chaque billet payé, qu’elle peut ensuite transformer en billets ou en cash-flow.
50% des Miles ne sont jamais utilisés
Concrètement, si l’on souhaite profiter de cette manne dormante, comment s’y prendre ? « La motivation principale doit être celle de la réduction des coûts, et elle doit être forte – car il va falloir affronter les réticences du personnel. Les RH seront un allié de taille pour le changement de politique pour la mise en place d’un accord social. Enfin, opérationnellement, il faut mettre en place un outil, tel que notre FFP Manager » résume Ravindra Bhagwanani.
Les Miles font partie intégrante de la politique voyage des entreprises. Mais comme on estime qu’environ 50% des miles ne sont jamais utilisés, du fait notamment de la complexité des barèmes d’équivalence – voir l’article de Slate à ce sujet – les entreprises ont peut-être intérêt à se poser la question du réel potentiel d’économies qu’elles pourraient réaliser à se saisir du sujet…