Pour s’imposer, une invention, une découverte ou un nouveau produit ont besoin de temps. Et si la course effrénée à l’innovation, sous toutes ses formes, son discours comminatoire sur l’obligation de changer tout, sans cesse et sans attendre, passait à côté de cette vérité essentielle ? La preuve en quatre exemples.
Managers ou non, nous vivons dans un discours permanent sur la nécessité d’innover, partout, sans cesse et sans tarder. Au risque de ne plus penser au temps nécessaire au succès d’une innovation. Et d'oublier aussi les messages de la science prospective et de ses experts, qui aiment à rappeler cette maxime : « Ce qui est prévu, arrive toujours plus tard que prévu. Et ce qui ne l’est pas, beaucoup plus vite ».
Ainsi en va-t-il de l’innovation. A chaque découverte majeure, il se trouve des enthousiastes pour lui prédire des utilisations extraordinaires et un développement des ventes du même calibre. Le phénomène s’est même accentué au cours des dernières décennies, les gourous du marketing se montrant toujours plus prompts à nous promettre des « révolutions quotidiennes ». Et les technologies numériques ont multiplié les occasions de de nous vendre la dernière merveille… en attendant la prochaine.
Ce qui est prévu, arrive toujours plus tard que prévu. Et ce qui ne l’est pas, beaucoup plus vite.
Pourtant, la courbe de diffusion de l’innovation présente toujours la même forme : celle d’une cloche ! Avec les mêmes étapes : à l’euphorie du début succède une période de découragement, car les premières utilisations de la nouveauté ne donnent pas satisfaction, ou bien ce sont les ventes qui ne décollent pas. Pendant cette période de creux néanmoins, les plus convaincus continuent de travailler, sur des applications plus facilement appréhendables par leur clientèle.
4 innovations qui ont pris leur temps pour s’imposer
Pour peu que l’innovation soit bien née, l’issue de cette période de doute se traduit par un redécollage des ventes – grâce, souvent, à une « killer-application ». Mais ce démarrage s'avère plus progressif que le boom de la phase initiale. Dans le meilleur des cas, un nouveau marché, solide, se développe. En attendant la prochaine rupture… issue d’une future innovation.
Vous n'êtes pas vraiment d’accord ? Manager Attitude a sélectionné quatre exemples qui illustrent la lenteur de l’adoption d’innovations pourtant majeures – mais ça, nous ne le savons qu’aujourd’hui !
1 : Les chercheurs de pétrole… ont longtemps manqué d’idées
Utilisé depuis l’antiquité – comme arme, comme médicament, comme isolant dans des solutions bitumeuses – le pétrole commence à être extrait à échelle industrielle à partir du milieu de 19ème siècle aux Etats-Unis. C’est la ruée vers la Pennsylvanie, l’Ohio ou le Texas, où sont découverts des gisements faciles d’accès. Des puits sont creusés un peu partout et l’or noir coule à flots. L’or noir ? Pas encore ! Car on ignore à l’époque que l’essence, un de ses produits dérivés, peut servir à faire tourner des moteurs à combustion interne. Ce n’est qu’en 1895 que cette découverte va donner une valeur inédite au pétrole. Entre temps, la Standard Oil de Rockfeller a pu racheter à vil prix des centaines de puits à leurs petits propriétaires ruinés…
2 : Dans le jus d’orange des américains, un goût de pommes persistant
Dans les bagages des GI américains débarquant en France en 1945, puis surtout dans les mallettes des entreprises US déferlant sur l’Europe grâce au plan Marshall, il y avait du jus d’orange ! L’affaire paraît vite entendue. Le produit est excellent, il rencontre un grand succès aux USA, il est désormais facile à conserver et transporter grâce à la pasteurisation. Notre bon vieux jus de pommes n’avait qu’à bien se tenir ! Il faudra pourtant près de 40 ans, et l’avènement de la grande distribution, pour qu’enfin les ventes de jus d’oranges dépassent celles du jus de pommes. Une histoire d’habitudes à changer….
3 : La dématérialisation, si belle… sur le papier !
Même avant internet et ses emails, la dématérialisation des documents, dans l’entreprise et son environnement, a fait fantasmer. Dès le milieu des années 80, le mythe du bureau sans papier est lancé, y compris dans l’administration ! Et lorsqu’en 2001, le décret sur la signature électronique est signé par Lionel Jospin, tous les acteurs de la filière – éditeurs de logiciels, archivistes, etc – croient que l’heure de la dématérialisation urbi et orbi a enfin sonné. Trente ans plus tard ? Toujours pas. Certes, elle progresse régulièrement, touchant désormais l’ensemble des processus collaboratifs. Mais la résistance au changement, ainsi que la lenteur du play-back, continuent d’empêcher le raz de marée.
4 : L’intelligence artificielle : pour vivre heureuse, elle vit cachée
Star des années 90, au point que le journal Le Monde envoyait alors tous les ans un journaliste aux Journées Internationales d’Avignon consacrées à la thématique, l’Intelligence Artificielle et ses systèmes experts ont alimenté bien des espoirs et des peurs. Mais à force de se voir tendre le micro, ses thuriféraires ont survendu une technologie encore balbutiante. Au point de la transformer, quelques années après, en symbole d’échec d’une innovation. Sauf que rien n’est moins vrai : l’IA, à travers notamment ses réseaux neuronaux ou sa logique floue, se niche aujourd’hui partout, jusque dans les programmes de votre machine à laver. Ses promoteurs ont simplement appris à se taire….
Le décalage persiste entre innovation et adoption
Décidément, vouloir lier l’innovation à la vitesse semble un faux sens, voire un contresens. Une dernière preuve pour s’en convaincre ? La plupart des consultants du marché de l’IT s’extasient toujours sur les premières centaines de millions de montres connectées, venant après celles des premières tablettes, des premiers smartphones, tous aussi vite vendus... Mais désormais, ils remarquent aussi un taux d’abandon tout aussi rapide de ces nouveaux produits. De quoi se rappeler cette sortie de Roland Moreno, inventeur de la carte à puces, au début des années 2000 : « Aujourd’hui, le rythme des nouveautés est tellement soutenu que nous n’avons même plus le temps de profiter de l’innovation ».
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