Big data, open data… Que recouvrent vraiment ces notions ? Dans le cadre du Congrès des ETS – Le Rendez-vous des managers territoriaux, Florence Durand-Tornare, Nicolas Matyjasik, Akim Oural et Jean-Paul Leroy se sont interrogés le 2 décembre dernier sur l’impact de la transformation numérique sur l’action publique territoriale. Synthèse de leur atelier, organisé par Edenred et animé par Antoine Darras, directeur éditorial de l’agence AVERTI.
L’existence de la donnée est aussi ancienne que celle des administrations. Comme le rappelle Florence Durand-Tornare, fondatrice et déléguée du label Villes Internet, la création de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), en 1978, a marqué le début de la prise de conscience de l’importance des données collectées, gérées et mises à disposition par le service public.
Il se crée tous les deux ans plus de données que depuis le début de l’histoire de l’humanité
Le contexte actuel de transformation numérique fait de la donnée un enjeu majeur. Nous passons dans l’ère du « big data », qui désigne l’ensemble des données numériques produites à des fins personnelles ou professionnelles par l’utilisation des nouvelles technologies. « Ce qui pose aujourd’hui problème », estime Nicolas Matyjasik, conseiller scientifique au ministère des Finances, « c’est l’ampleur que prend la donnée dans nos vies. Sa place devient exponentielle : il se crée tous les deux ans plus de données que depuis le début de l’histoire de l’humanité. »
Dans ce contexte, les collectivités territoriales semblent prendre conscience qu’elles sont assises sur un véritable « gisement » de données. Dès lors, l’enjeu est de déterminer comment exploiter ce gisement de manière optimale et en adéquation avec les valeurs du service public.
Florence Durand-Tornare précise que la nouveauté réside dans le décloisonnement et la mise en réseau des données par les différentes collectivités afin d’améliorer leurs services. De plus, le numérique introduit de nouvelles logiques partenariales entre les secteurs public et privé. La population est également partie prenante, dans la mesure où les citoyens peuvent aujourd’hui accepter ou non de fournir les données qui les concernent, en laisser l’accès et éventuellement se les réapproprier.
Un sujet trop important pour être confié aux seuls informaticiens
Akim Oural, adjoint au Maire de Lille en charge de l'économie numérique, conseiller de Lille Métropole aux nouvelles technologies, est l’auteur d’un rapport sur la gouvernance des politiques numériques du territoire. Il préconise de « casser la dictature des DSI » : le numérique serait un sujet trop important pour être confié aux seuls informaticiens !
Il estime qu’une politique numérique réussie à l’échelle des territoires doit être développée selon trois axes :
- la capitalisation, qui consiste à diffuser et adapter les bonnes pratiques qui se développent en France ;
- la mutualisation, qui permet de réaliser des économies d’échelle en mettant en commun certains services ;
- le principe de subsidiarité, selon lequel seul l’échelon territorial le plus pertinent devrait mettre en œuvre ces politiques, dans le cadre d’un dialogue entre les différentes collectivités (commune, métropole, région, etc.).
Pour Akim Oural, au-delà de la dématérialisation, la transformation numérique des collectivités locales invite à s’interroger sur la manière dont l’usager peut non seulement bénéficier d’un service public plus adapté, mais aussi interagir directement avec ce service. Dans cette optique, il préconise de construire des plateformes d’accès aux données ayant pour objectif d’héberger des services, voire de les mutualiser.
Vertus et limites de l’open data
Si l’open data est une pratique vertueuse et souhaitable, faut-il pour autant ouvrir toutes les données ? Akim Oural y voit deux limites. D’une part, les données personnelles doivent être utilisées de manière déontologique. D’autre part, les activités générées grâce à l’ouverture des données ne doivent pas remettre en question les bases du droit du travail ou de la libre concurrence.
Nicolas Matyjasik émet davantage de réserves à l’appropriation du big data par les administrations publiques. Citant Bernard Stiegler, auteur de La Société automatique, il estime que le big data « anticipe nos gestes et nos choix, automatise nos attentes et décultive notre faculté de raisonner », nous privant ainsi d’une part de notre libre arbitre. Il déplore une certaine « gargarisation » autour de la technologie qui arrive dans les administrations publiques et la sphère politique, si bien que l’on oublie de se poser des questions sur les valeurs du service public et le sens de l’action politique. Les autorités publiques auraient tendance à se cacher derrière ces outils pour se légitimer. Aucune élite politique ou administrative ne tiendrait aujourd’hui un discours construit autour de la technique et du numérique, le tout au service d’un projet de société.
Pour Nicolas Matyjasik, la seule issue pour donner du sens au big data est une appropriation par la société civile, pour en faire un outil de débat et de participation citoyenne. En matière d’évaluation des politiques publiques, des agences citoyennes pourraient ainsi contrôler l’activité des élus et des collectivités.
De nombreux exemples positifs d’ouverture des données peuvent toutefois être observés. Jean-Paul Leroy, directeur du développement numérique de Lille Métropole, cite le cas d’une ville du sud de la France qui a su détecter des personnes âgées en difficulté dans leur logement en croisant des données d’aide sociale avec celles de sa régie d’eau. Et ce n’est qu’un début, comme le prouvent les expérimentations actuelles autour de l’ « Internet des objets ».