Qu’est-ce qui constitue la valeur d’une entreprise aujourd’hui ? Quelle place pour les hommes dans un monde qui promet d’être robotisé et gavé d’Intelligence Artificielle ? A l’occasion des journées du Patrimoine, nous avons demandé son éclairage à David Brunat, écrivain, philosophe, et senior advisor chez PwC.
Comme chaque année depuis 1984, les très populaires Journées du Patrimoine organisées partout en France et en Europe font le bonheur des amateurs de vieilles pierres, de palais républicains… ou de sites industriels et technologiques. Une belle occasion de s’interroger sur la notion de patrimoine d’entreprise.
Plan comptable et sens de l’Histoire
Certaines entreprises peuvent se prévaloir d’une richesse historique considérable, ces groupes nés il y a plusieurs siècles : Saint-Gobain, Dupont de Nemours, Beretta… Elles ont une forte mémoire industrielle, un rapport particulier au passé ; elles savent que leur patrimoine n’est pas seulement matériel, comptable et actuel. Il est aussi mémoriel. Subjectif. Un brin affectif.
Toutes choses qui font partie intégrante du patrimoine d’une entreprise, même si le plan comptable général n’en fait pas grand cas, préférant mettre l’accent sur les biens et les dettes de l’entreprise, ses stocks et ses créances, ses logiciels et licences, ses entrepôts et terrains.
Quelle valeur comptable donner à la patine du temps, à l’esthétique industrielle d’un haut fourneau de jadis ou encore, pour en revenir au temps présent, à l’émotion qui s’empare du fan d’Apple lorsqu’il découvre le dernier trésor technologique de la marque à la pomme ?
Les datas, nouveaux joyaux de la couronne
Il y a beaucoup d’ingrédients dans le patrimoine d’une entreprise : ses investissements, ses propriétés immobilières, ses innovations, ses actifs en bourse, etc. Sa trésorerie, bien sûr. Ainsi d’Apple avec sa formidable cassette qui pèse 250 milliards de dollars, disponibles.
Mais le patrimoine de l’entreprise fondée par Steve Jobs, c’est aussi son portefeuille de brevets, le design de ses appareils, ses « devices » qu’elle a su imposer à travers le monde, son logo, ses slogans publicitaires (« Think Different », « Stay hungry, stay foolish »), et le souvenir de son charismatique fondateur lui-même. Mais aussi les données personnelles que détient la marque grâce aux millions d’acheteurs de ses produits.
La data est à l’économie du XXIe siècle ce que le pétrole et la vapeur furent à celle du XIXe ou la terre à l’époque de l’Ancien Régime : son poumon ou son système nerveux central. Et son tiroir-caisse.
Véritable mine d’or, la valeur stratégique de la donnée et l’avantage compétitif qu’elle confère à celui qui la détient et sait l’exploiter explique par exemple que la valorisation d’Airbnb, qui ne possède aucune chambre d’hôtel, soit très supérieure à la capitalisation boursière de géants du secteur comme Accor.
Et ce phénomène va au-delà de la seule économie. Il impacte les activités humaines dans leur ensemble. « La collecte et le traitement des données vont conditionner le siècle qui vient. Et cette révolution concerne tout ce qui touche à l’humain », affirment ainsi Marc Dugain et Christophe Labbé dans L’homme nu (Plon, 2016).
Les firmes du big data, GAFA en tête, l’ont bien compris. Elles se taillent la part du lion dans cette nouvelle savane numérique. Certaines promettent « l’homme augmenté » … tout en augmentant irrésistiblement leur plantureux patrimoine.
Du coup, un bon algorithme et une abondante base de données valent tout l’or du monde. Les grands gagnants sont ceux qui ont les datas, des plateformes et une bonne réputation. Voyez Blablacar ou Agriconomie, une jeune pousse élue en 2016 « site d’e-commerce de l’année », spécialisé dans la vente de matériaux et de produits agricoles sans posséder aucun tracteur, pièce de charrue ou sac d’engrais…
Irremplaçable patrimoine humain
La capacité à gérer les données, à créer du lien, à inspirer confiance aux consommateurs, c’est essentiel. Mais le trésor des trésors, c’est l’humain. Et le premier diamant qui fait briller une entreprise, ce sont ses salariés et ses dirigeants.
Une étude publiée par Malakoff Médéric fin août 2017 met l’accent sur le rôle central de la ressource humaine, en lien avec la valeur « confiance » dans l’entreprise - à l'heure où l'engagement salarial a baissé de 13 % en sept ans. Elle souligne que confiance et reconnaissance sont indissociables.
« Il n’est de richesse que d’hommes », disait au 16e siècle le philosophe Jean Bodin. Est-ce encore vrai à l’heure actuelle et à la veille, peut-être, d’un monde robotisé et gavé d’IA ? Oui. Car les talents sont, plus que jamais, le premier carburant de l’entreprise, qui gagne toujours à renfermer dans ses « coffres » des compétences et des qualifications diversifiées, à investir sur l’humain et le sentiment d’appartenance. Et à développer une bonne culture d’entreprise.
Ouverts à la visite !
A propos de culture, concluons comme de juste sur les Journées du Patrimoine.
Conscients qu’il s’agit d’une composante à part entière du patrimoine national, les Français montrent un engouement croissant pour les visites d'entreprises. Plus de 5000 d’entre elles ouvrent ainsi leurs portes lors de l’édition 2017. Et il y en a pour tous les goûts : sites désaffectés, carrières, ateliers d’art, vitrines technologiques, chantiers navals… Et même une centrale nucléaire, celle du Bugey dans l’Ain. Preuve est faite que le monde de l’entreprise a des atomes crochus avec le patrimoine !