EPR de Flamenville, tunnel sous la Manche, lignes TGV ou réforme de l’Etat : les projets longs sont aussi, le plus souvent, complexes. Leur management, dans la durée, requiert des compétences, des attitudes spécifiques… et un état d’esprit dont pourraient aussi s’inspirer les responsables de projets plus courts.
Les grands travaux – ou les projets complexes– font partie des mythes des sociétés industrielles. Interrogez vos amis ou collègues en leur demandant de citer ceux qui les ont marqués, et les aventures d’Airbus, du TGV, du tunnel sous la Manche, voire de l’EPR de Flamenville, ressurgissent rapidement.
Où commence le projet long ?
Mais au fait, quand parler de projets complexes, ou longs – qui sont bien souvent les mêmes ? Etienne Roy intervient depuis plus de 25 ans en accompagnement des dirigeants sur la directions de tels projets. Il a son idée sur la question. A tel point qu’il y a six ans, à l’issue d’un projet de transformation chez un client, portant aussi bien sur la refonte de l’organisation que sur les prestations et la relation client, il a co-écrit avec Guy Verneret un ouvrage consacré à « la conduite de projets complexes », aux éditions Maxima.
« La notion de complexité ne fait pas l’objet d’une définition précise, nous explique-t-il. Mais on peut dire qu’un projet est complexe dès lors qu’une part d’incertitude existe à son lancement quand aux technologies et aux méthodologies qui vont être utilisées ». Le projet « long » n’est pas plus facile à quantifier, mais l’idée sous-jacente renvoie « aux mêmes difficultés d’éclairage initial de l’ensemble du chemin qui va être parcouru ».
Une dimension politique très présente
La complexité n’est pas que technologique ou méthodologique. Elle peut aussi prendre une dimension relationnelle, avec un nombre d’intervenants élevé de natures très diverses. Il est ainsi fréquent que le niveau politique soit très présent sur les grands projets d’aménagement.
Cette dimension politique implique « d’éventuels changements d’orientations en cours de projets, mais aussi des temps de prise de décision assez longs. Les intérêts des différents acteurs peuvent converger à certains moments, diverger à d’autres ».
Se dégager de la pression du court-terme
Les directeurs des projets doivent se tenir prêts à prendre en compte d’éventuelles ruptures stratégiques, et à traduire leurs conséquences au niveau opérationnel. Pour prendre un exemple, quelles conséquences aurait eu un Brexit qui serait advenu pendant la construction du Tunnel sous la Manche ?
Mais bien plus fréquemment, c’est du terrain que remontent les difficultés, ou des interrogations sur les choix initiaux. « Sur un projet complexe ou long, il est crucial de pouvoir régulièrement re-questionner les choix, notamment technologiques, car de nouveaux modèles économiques peuvent découler d’innovations majeures ».
Les managers doivent alors se dégager de l’échéancier opérationnel et trouver l’énergie de « faire remonter les questions au niveau stratégique voire au niveau politique, lors des comités de projets ». Rien ne sert en effet de s’obstiner dans la mauvaise direction.
L’exercice n’est pas si facile car « en pratique, la direction de projet est happée par les urgences du terrain et ne voit pas toujours un intérêt à faire remonter ces questionnements au niveau politique. C’est le fruit de la pression du court terme, qui nous incite à sacrifier le temps de la réflexion. Toute notre énergie se focalise sur les échéances à tenir ». La réflexion vaut également sur des projets courts, pour lesquels « ce temps de réflexion doit être préservé. Or lorsque nous sommes sous pression, nous avons tendance à regarder sous nos pas, sans lever la tête et sans regarder un peu plus loin, les obstacles qui se dessinent ».
Ressources humaines : une gestion équilibrée plutôt que d’équilibriste
Autre caractéristique majeure des projets longs : la volatilité des équipes. Si les directions de projet sont généralement assez stables, il n’en va pas de même sur le terrain où la durée des chantiers génère mécaniquement un renouvellement des personnels. Ainsi, un grand projet informatique courant sur cinq ans - l’informatisation de la Bourse de Paris au début des années 1990 par exemple – dépasse la « durée de vie moyenne » d’un jeune informaticien en SSII, qui n’est que de trois ans…
Aux managers d’intégrer cette contrainte dans leur pilotage des équipes : contrairement à un projet classique, le départ d’acteurs clés en cours de projet est une donnée de base. Ainsi que leur remplacement. Quant à la gestion des expertises clés, elle doit trouver un juste équilibre : s’il n’est pas réaliste de pouvoir les conserver toutes sur la durée nécessaire, il est souhaitable de développer une gestion des ressources humaines qui en fidélise une part importante.
Projets longs ou projets courts, des règles communes à appliquer ?
La probabilité de prendre la direction d’un projet pharaonique est relativement faible dans la vie d’un manager. Mais il y a, dans le management de tels projets, de bonnes pratiques à cultiver, y compris sur des chantiers plus modestes :
- S’obliger à « lever la tête » des échéances immédiates du projet, pour regarder à moyen et à long terme, les impacts potentiels de l’innovation technologique,
- Gérer les membres de l’équipe projet avec l’empathie nécessaire pour la fidélisation du plus grand nombre, tout en anticipant les défections possibles, et les remplacements qui en découlent,
- Bien identifier les différents interlocuteurs et décideurs sur le projet, leurs objectifs et leur échéancier.
En gardant à l’esprit ces règles de bon sens, chaque manager de projet ira plus loin et plus longtemps…