Les "grandes gueules" ennuient parfois par leurs tirades, leur pessimisme apparent, voire leur agressivité. Pourtant ils sont bien là, présents dans votre équipe. Et leurs réflexions ne sont pas toujours inutiles. Comment gérer ces personnalités difficiles ? Des solutions de management existent, qui ne passent pas forcément par le conflit.
L’expression « Grandes gueules » est pleine d’ambiguïtés. Plutôt positive, plutôt négative ? Un peu des deux, en témoigne le titre d’une émission radio actuelle à succès sur RMC. Dans notre culture latine, une prime existe toujours à celui qui manie haut le verbe, met les rieurs de son côté, fait réagir l’assistance. Peu importe parfois les moyens…
Il n’empêche que, pour un manager, la présence d’une « grande gueule » ou d’un « emmerdeur », comme le titrait récemment le magazine Management , peut poser problème. Une bonne raison pour savoir d'abord à qui l’on a affaire. On peut les classer en quatre catégories.
Une typologie des "grandes gueules" pour le management
- Le volubile : Il accapare la parole dans les réunions, pas toujours pour dire des choses intéressantes. Même pour le manager, il est difficile à interrompre, il empêche aussi la prise d’antenne des plus réservés, qui ont pourtant peut-être des remarques intelligentes à formuler. Autre écueil, ses collègues, ses collaborateurs voire son manager ont tendance à attendre tranquillement qu’il prenne la parole, puisqu’il le fera forcément, et à se sentir moins concernés par leur propre participation à l’évènement.
- Le pessimiste : Pour lui tout va mal, et ce sera pire demain. Les décisions qu’on lui annonce ne vont jamais dans le bon sens. Problème, si en plus il est convaincant : son manque de confiance dans l’avenir de l’entreprise ou du projet menace d’être contagieux, et un vrai problème de management.
- Le sans-gêne : Il a tendance à tout ramener à lui, quitte à s’accaparer sans vergogne les idées ou les projets de ses collègues, collaborateurs ou managers.
- L’agressif : Il ne sait pas moduler la tonalité de ses interventions, créant une ambiance tendue dès qu’il prend la parole, même pour exprimer des idées intéressantes. Avec un effet boule de neige, puisque la crispation du groupe augmente la sienne…
Le rôle du manager : comprendre, pour mieux canaliser
Aucune ambigüité : c’est bien au manager de gérer la situation et, si possible, de rétablir les équilibres. Avec subtilité, car lui donner trop d’importance aggraverait les choses. Il commencera par faire un bilan objectif, en prenant si possible, un avis tiers. « L’avantage est que cela permet de savoir si l’on est objectif ou non, et cela évite au conflit d’être interpersonnel », conseille Aymeric Bouthéon, dirigeant de H Conseil, société de conseil et formation. Par la suite, il s’agit de tenter de comprendre ce qui motive cette attitude particulière. « Quelqu’un, qui possède une forte personnalité, a des peurs et les exprime ainsi pour ne pas être oublié », relève Mary Gohin, psychologue et coach. Le dialogue avec ce collaborateur réclame donc une attention particulière, sans pénaliser ses collègues. Bonne nouvelle, l’exercice ne serait pas si difficile : « Généralement, ce sont des gens qui s’ouvrent vite car ils ont besoin de parler. Si on leur demande ce qui ne va pas, ils vont finir par le dire ».
Des solutions pour manager les "grandes gueules"
Les conseils ne manquent pas – et les témoignages – qui démontrent que le management de ces « grandes gueules » se termine souvent très positivement. Quelques exemples d’astuces et d’attitudes positives :
- Se moquer gentiment de leurs travers : en public, ou en privé, mais toujours avec bienveillance. L’attitude qui consiste, par exemple, à annoncer que « Jules » va prendre la parole, qu’on l’attend comme un oracle, et que cela va prendre du temps, a ceci de positif qu’elle accorde une place malgré tout privilégiée à la personne. Qui va aussi comprendre au passage que cette place est peut-être exagérée…
- Pousser leur logique jusqu’à l’absurde : cette technique de « déséquilibre avant » consiste à déstabiliser la « grande gueule », en abondant dans son sens jusqu’à l’extrême. « A la fin, l’alarmiste reconnaîtra de lui-même que la situation n’est pas aussi catastrophique que ça », assure Laurent Tylski, coach chez Acteo Consulting. Dans sa version plus musclée, elle peut amener à la mettre au pied du mur, par exemple en lui proposant d’animer la réunion à votre place…
- Ne pas réagir sous le coup de la colère, mais revenir, une fois sa propre tension apaisée, vers le collègue, le collaborateur, voire le manager, pour lui expliquer ce qui n’était pas tolérable dans son attitude. S’il est intelligent et honnête, il vous saura gré d’avoir désamorcé la bombe, et écoutera d’autant plus volontiers vos arguments.
Dans tous les cas, face à ces personnalités délicates, il est sans doute préférable de les laisser agir, au risque de les surprendre, afin de rationaliser – et dépassionner – les remarques et critiques que vous lui adresserez ensuite en tant que manager. Elles n’en seront que plus constructives.
La grande gueule, une espèce à protéger ?
Bien qu’ils puissent vous pousser à bout, vous devez prendre garde à ne pas humilier ou dévaloriser ce type de collaborateurs. Car, au-delà des difficultés de management qu’ils posent, ils peuvent aussi représenter un atout pour l’entreprise et votre équipe. « Il faut essayer d’en tirer quelque chose de positif. En effet, ces grandes gueules ont de l’audience, de l’influence, souligne Aymeric Bouthéon. Quand un manager parvient à se les mettre dans la poche, c’est un gros avantage ».
Du reste, force est de reconnaître que ces profils sont souvent efficaces pour lancer des projets, créer des entreprises, commercialiser… Le manager doit seulement leur laisser une juste place, celle qui n’empêche pas les autres talents de l’équipe de s’exprimer. Et, au passage, admettre que ces individualités difficiles, qui mettent souvent le feu aux poudres, sont des agitateurs parfois bien utiles pour garder une organisation en mouvement.