"L’art de perdre" de la romancière Alice Zeniter, "Eloge de l’échec" du philosophe Charles Pépin, "La puissance de l’échec" du communicant Antoine Granata, etc. : la multiplication des ouvrages sur les vertus paradoxales de l’échec en dit long sur l’évolution des mentalités. Après la célébration de la gagne et des dirigeants infaillibles, place à la vénération de la loose, des défaillances constructives et des plantages en tout genre ?
C’est le roi des jeux, la Rolls-Royce des sports de l’esprit. Ses « grands maîtres internationaux » sont des demi-dieux. Et pourtant son nom est synonyme de défaite. Tout le contraire de ces parties de carte qu’on appelle des réussites… et qui sont à la portée du premier venu !
Il y a vingt ans déjà : échec au roi
Le 11 mai 1997, le roi des échecs, Gary Kasparov, est battu par une machine. Deep Blue a sorti le grand jeu. Sans le faire exprès ! Programmé pour résoudre jusqu'à 200 millions de positions par seconde, le supercalculateur s'est avéré incapable d'en choisir une, et a sacrifié un pion de façon totalement aléatoire. Un coup inattendu qui a déstabilisé son adversaire, piégé par ce qu’il a cru être une manœuvre particulièrement sophistiquée, et entraîné son abandon.
Mise en échec, l’intelligence humaine ? Pas vraiment. Deep Blue a été incapable de savourer sa victoire, et peut-on vraiment gagner sans savoir ce qu’est la victoire ? Mais ce match mémorable a fait progresser l’informatique cognitive… et la pratique (humaine) des échecs : désormais, les plus grands champions s’entraînent grâce aux ordinateurs, passés du rôle d’adversaires à celui d’assistants.
Cette édifiante histoire qui mit aux prises un génie de l’échiquier avec un tas de ferraille et de silicium illustre à sa façon l’antique proverbe japonais énonçant que « l’on apprend peu par la victoire, mais beaucoup par l’échec ». Un mantra cher aux grands sportifs et à certains entrepreneurs de légende, mais pas encore forcément audible dans le monde de l’entreprise.
Echouer encore, échouer mieux
Un champion de la balle jaune a longtemps vécu dans l’ombre intimidante de son compatriote Roger Federer. Stanislas Wawrinka est bien placé pour savoir ce qu’il faut surmonter de doutes, de complexes et d’angoisses pour aller glaner des titres et s’imposer en finale de l’US Open 2016.
Ce champion modeste et persévérant s’est fait tatouer sur le bras une citation de Samuel Beckett extraite de son roman Worstward Ho (« Cap au pire », en français) qui raconte… comment rater un livre : « Ever Tried. Ever Failed. No Matter. Try again. Fail again. Fail better ». Wawrinka commente : « C’est une phrase que j’aime beaucoup, qui résume bien mon métier et mon envie de toujours essayer malgré les défaites. »
Cette sentence beckettienne est devenue un must. Début 2017, le skieur tricolore Alexis Pinturault la reprenait sur son compte twitter après une défaite dans une épreuve des Championnats du monde à Saint-Moritz … avant de s’adjuger le titre dans une autre catégorie.
La Silicon Valley et ses FuckUp nights
« Echoue encore. Echoue mieux » fait de plus en plus figure de discours obligé dans la Silicon Valley. On s’y souvient qu’un certain Steve Jobs fut licencié de sa propre société et en parla des années plus tard comme de la meilleure chose qui lui était arrivée. Sur les murs de tous les incubateurs s’affiche la formule de Thomas Edison : « Je n’ai pas échoué. J’ai juste trouvé dix mille solutions qui ne fonctionnent pas. » Les start-upers qui n’ont pas encore « pivoté », c’est-à-dire changé de cap et de business model après être allé dans le mur, n’y sont pas vraiment pris au sérieux. Et l’engouement pour les FuckUp Nights (des rencontres où les entrepreneurs évoquent leurs pires déboires) ne se dément pas.
C’est un avatar de la « successfull failure » si bien mise en scène par Hollywood. Apollo 13 : « Houston, we have a problem ». « Tant mieux ! C’est la meilleure chose qui puisse vous arriver », répondront en chœur les ingénieurs en management. Même si des fusées qui explosent en plein vol, il y en a eu aussi (beaucoup) dans l’histoire de la conquête de l’espace…
Fail management : dédramatiser l’échec sans en minimiser l’importance
Face à l’échec on rencontre souvent des réactions perverses : le déni, l’abattement, l’auto-flagellation, le renoncement, ou encore la mise en cause des autres – collaborateurs ou hiérarchie –, forcément responsables. La méthode du Fail management (management de l'échec) livre des clés autrement plus productives :
- Comprendre que l’échec fait partie de la vie des affaires et de la vie tout court
L’échec étant toujours possible, il est salutaire d’avoir des scénarios alternatifs (diversifier ses services, plancher sur un « plan B », etc). « Tout entrepreneur a le droit d’essayer plus d’une fois, et la société n’a pas le droit de l’inciter à renoncer à recommencer », explique Philippe Rambaud, fondateur de l'association 60.000 Rebonds, qui accompagne les chefs d'entreprise après une faillite. « 60 000 rebonds, c’est 60 000 occasions de plus de réussir ». Du Beckett !
- Tirer les enseignements des erreurs
La capacité à rebondir dépend en partie de l'analyse d’une expérience négative. Décomposer ses causes, comprendre que des éléments extérieurs (retournement du marché, départ d’un collaborateur-clé …) y entrent parfois pour beaucoup, échanger avec ses équipes et mettre tous les sujets qui fâchent sur la table, ou encore faire appel à un regard extérieur, constituent autant de pistes pour surmonter l’échec.
- « No shame »
Ne pas culpabiliser ! Echouer n’est pas (toujours) synonyme d’incompétence. Assumer, prendre du recul, parler sans fard de ses déboires et constater que l’échec est la chose du monde la plus partagée, c’est faire preuve de sagesse !
Pour éviter l’échec et mat
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