« Small is beautiful ». L’adage est bien connu des managers. Même dans une économie mondialisée, dominée par de grands groupes internationaux, des sociétés modestes peuvent acquérir des positions dominantes. À travers l’exemple des Vikings, tentons de comprendre et d’analyser les avantages d’une PME qui s’engage dans une dynamique commerciale innovante.
Le temps des Vikings
Les historiens datent l’ère viking entre 800 et 1050. Durant cette période, les guerriers scandinaves mettent l’Occident en coupe réglée. Loin des fantasmes, loin d’être des hordes de barbares se déversant sur l’Europe occidentale, les expéditions vikings mobilisaient des effectifs bien modestes.
Il fallait aussi construire des bateaux, les armer, engager et payer un équipage. Sans être minuscules, les flottes des guerriers du Nord ne se composaient pas non plus de centaines de vaisseaux. Plus qu’une multinationale de la prédation, l’expédition viking doit s’appréhender comme une petite entreprise contrôlée par un décideur audacieux, qui part à la conquête du monde connu et inconnu.
Quitter sa zone d’inconfort
Vers 800, le Viking, qui est avant tout un commerçant, constate que les structures politiques de l’Occident subissent une modification profonde. Les royaumes chrétiens sont moins puissants et donc plus vulnérables à des expéditions ponctuelles et rapides. C’est le moment des premières attaques scandinaves. La nouvelle de leur succès et du butin amassé se propage rapidement dans leur société de marchands où l’information est une donnée essentielle de la survie.
Ce changement de paradigme géopolitique s’inscrit dans un contexte propice à ces entrepreneurs audacieux et aventuriers qui sont conscients de la faiblesse de leur marché intérieur. Car la Scandinavie médiévale n’est pas un territoire riche. Les ressources agricoles sont limitées. L’omniprésence de l’eau, sous forme de glace ou de neige, les hivers interminables et rigoureux, la longueur des nuits, ne s’avèrent guère favorables aux activités lucratives sur place. D’où la prédilection première pour le commerce.
Les mutations politiques en Occident constituent ainsi une formidable occasion pour changer de modèle économique, troquer la balance du marchand pour la hache du guerrier, et maximiser les profits dans le cadre d’un business porteur.
Trouver la bonne cible
Les cibles du Viking ne sont pas choisies au hasard mais sont précédées d’un audit de type SWOT : Forces, faiblesses, opportunités et menaces.
L’attaque est toujours soigneusement préparée. Débarquant de nuit, dans un territoire qui permette un repli rapide, le Viking n’attaque pas n’importe où ni n’importe quand. Il privilégie les moments où ses adversaires relâchent l’attention, comme les jours de fête religieuse et de foire. La première force du Viking n’est donc pas la violence mais l’information.
Adepte de la guerre psychologique, le Viking sait aussi verser dans l’espionnage. Le guerrier scandinave porte un grand soin à l’évaluation des rapports de force. Pour cette raison, il privilégie les raids rapides sur des cibles peu ou pas défendues comme les monastères, les églises ou les villes sans murailles. Ses faibles effectifs ne lui permettent pas de se livrer à des batailles rangées contre des adversaires supérieurs en nombre.
En cas de résistance, le Viking préfère changer de cible. Ainsi, quand le roi de Wessex Alfred le Grand (849-899) met en place un système de défense efficace pour protéger les côtes de son royaume en Angleterre, le Viking porte son attention sur d’autres territoires, d’autres opportunités.
Faire circuler l’argent et les talents
Chez le Viking, la compétence du guerrier n’exclue pas celle du commerçant. En bon marchand, le Scandinave a horreur des capitaux dormants. Le réinvestissement est permanent.
Les expéditions vikings ne confrontent pas que des modèles militaires et des structures religieuses. Elles opposent aussi deux schémas de développement financier. À la capitalisation des richesses adoptée par l’Occident, le Viking préfère la circulation monétaire. Le produit des butins amassés lors des raids (monnaies, vases en or et en argent, souvent rehaussés de pierres précieuses, tissus d’apparat etc.) n’est qu’en partie mis en réserve. Les monnaies en bon métal circulent, alimentent et développent une activité économique, rappelant la vertu du crédit facile dans une économie ouverte.
Mais le Viking n’est pas qu’un pilleur frénétique. Self-made-man, il sait aussi monnayer ses compétences militaires. Le Viking ne répugne pas à s’engager comme mercenaire auprès des royaumes chrétiens. Les empereurs byzantins disposent ainsi depuis le Xe siècle d’une garde varègue, composée de guerriers du Nord. Cette garde se caractérisera d’ailleurs non seulement par sa pugnacité mais aussi par sa fidélité.
Le Viking n’est pas toujours bien récompensé de ses services. Des récentes trouvailles archéologiques dans le Dorset semblent attester l’existence de mercenaires danois employés par le roi anglais Ethelred II dit le Malavisé (968-1016). 54 squelettes de guerriers danois décapités y ont été exhumés en 2009. Tout porte à croire que cette cinquantaine de soldats a été massacrée sur ordre de leur royal employeur…
Faire bouger les lignes et les frontières
Issu d’un territoire aux ressources limitées, le Viking refuse d’évoluer dans une société bloquée. Cette volonté explique le départ de guerriers scandinaves vers d’autres horizons. Des Norvégiens s’installent par exemple en Islande à partir de 874 et y établissent des colonies. Mais la soif d’entreprendre ne s’éteint pas aisément chez le Viking. L’Islande ne constitue pas la frontière ultime mais bel et bien une tête de pont, un point de départ vers des horizons plus vastes encore.
En 982, Eirikr le Rouge, banni d’Islande, décide de naviguer vers l’ouest. Il découvre ainsi le Groenland. Après une courte exploration, il décide de revenir en Islande, où il se livre à une véritable promotion de ce territoire vierge. Le Viking, on le voit, n’ignorait pas les vertus du marketing ! Chez le guerrier du Nord, la volonté de découvrir de nouveaux marchés s’hérite et se transmet. Un des fils d’Eirikr le Rouge, Leifr dit le Chanceux, quitte le Groenland pour naviguer vers l’ouest. Son expédition le mène dans l’île de Terre-Neuve, en Amérique, 500 ans avant Christophe Colomb.
Entre opportunités et actions, le réseau de PME vikings a initié une formidable aventure humaine et entrepreneuriale entre les IXe et XIe siècles. Il ne faudrait cependant pas idéaliser leurs actions, généralement conduites dans une extrême violence, et l’absence de pitié.
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Professeur agrégé et doctorant à l’EHESS, Yohann Chanoir s'intéresse à l'écriture de l'histoire par le cinéma. Il est auteur de nombreux articles scientifiques et grand public et de plusieurs ouvrages dont « Convaincre comme Jean Jaurès. Comment devenir un orateur d’exception », aux éditions Eyrolles.