Le début d’automne en Corse est radieux. Et les convives de la Mairie d’Ajaccio, réunis au restaurant le Don Quichotte, évoquent avec passion la dynamique économique de l’Île. Tout en cultivant l’art de vivre insulaire, les rivalités ancestrales entre le Nord et le Sud de l’île, l’héritage de l’Empereur… et la farine de châtaigne.
Midi trente au Don Quichotte. Nous nous attablons dans la salle du fond, réservée avec bienveillance par les propriétaires du restaurant, situé à deux pas du port et des paquebots qui débarquent chaque jour des milliers de touristes au pied de la vieille ville d’Ajaccio. Ils sont entre 200 et 300,000 selon les années, et certains jours, plus d’une demi-douzaine de rotations de navires sont enregistrées dans la baie. Ajaccio, avec ses 76 000 habitants, constitue un point d’entrée majeur sur l’île qui voit sa population doubler pendant les deux mois d’été (de 320 000 habitants à plus de 600 000).
Sophie Boyer de la Giroday, Directrice générale adjointe proximité et services à la population, également en charge du commerce et de l’artisanat, est en terrain connu puisqu’elle supervise les travaux de la voirie, qui impliquent un contact quotidien avec les restaurateurs. Christian Balzano, conseiller municipal adjoint – avec les délégations Domaine public et privé, travaux de voirie, halles et marchés, commerce et artisanat – appartient à une équipe municipale renouvelée, qui a créé la nouvelle direction pour entretenir le dynamisme économique de la ville.
L’île de Beauté est affectée par un taux élevé de sa population vivant sous le seuil de pauvreté (20,2 %, source Corsistat 2016), et un taux de chômage (10,6 %) supérieur d’un point à la moyenne nationale. Mais son PIB a récemment connu la plus belle croissance de toutes les régions françaises depuis 1991 (croissance annuelle moyenne de 2,3 % vs 1,4 % pour la moyenne nationale, source Insee 2015). Le secteur du tourisme y contribue largement, avec 11,500 emplois directs et une croissance moyenne de 5,4 % de sa valeur ajoutée sur les dernières années.
Nord et Sud, entre rivalités et solidarité
Dès notre arrivée, les plaisanteries vont bon train autour de la rivalité séculaire entre la ville natale de Napoléon et Bastia, la capitale de l’autre moitié de l’île et ses 45,000 habitants. « C’est normal. Pendant des siècles, les frontières naturelles entre les deux parties de la Corse ont rendu difficiles les échanges et la coopération, explique Christian Balzano. Depuis que les voies de circulation se sont ouvertes et que les échanges se sont multipliés, les relations se sont améliorées… mais la tradition demeure ». Cette concurrence est également présente aujourd’hui dans les débats qui s’instaurent au moment de localiser les différentes administrations dépendant de la collectivité régionale. Ou dans les chicayas autour du rapport inégal entre les contributions de telle ou telle partie du territoire et les subventions reçues en retour. Christophe Battaglia, le responsable régional grands comptes d’Edenred, confirme : « Pour moi, qui suis originaire de Bastia, la compétition avec Ajaccio est dans nos gènes ». Il n’empêche que sur le continent, « nous sommes avant tout Corses, et solidaires », ajoute Christian Balzano.
Un parfum d'exceptionnel
Pendant que nous passons les commandes, votre serviteur s’étonne du prix relativement élevé des plats, alors même que le Don Quichotte fait partie des plus raisonnables du quartier. « C’est une réalité, reconnaît Sophie Boyer de la Giroday, et nous essayons de convaincre les restaurateurs à proposer des menus à des tarifs plus abordables ». Laurent Leca, le DRH de la mairie d’Ajaccio, confirme qu’il s’agit d’un combat de longue haleine : « Les salariés, même munis de Tickets Restaurant, ne peuvent se permettre de déjeuner dans ces établissements tous les jours ». Les restaurateurs ont tout intérêt à prendre plus en considération la clientèle régulière que représentent, tout au long de l’année, les 1,400 fonctionnaires titulaires de la ville (et les 150 à 200 contractuels). Et ce ne sont pas les seuls représentants d’un secteur public qui représente 38 % des 88,000 emplois salariés en Corse (+7 points par rapport à la moyenne des régions françaises, source Insee 2014).
Un goût de châtaigne
Une solution ? Christian Balzano, qui dirige une entreprise spécialisée dans la fabrication de pâtes alimentaires, nous confie être allé voir les restaurateurs à proximité du site de production, lorsqu’il a commencé à distribuer les précieux titres. « Je leur ai demandé de réfléchir à proposer des tarifs attractifs pour mes collaborateurs. Et cela a bien fonctionné ». Il est vrai que son usine est en périphérie de la ville, là où les restaurants profitent moins de la manne touristique. J’en profite pour lui demander s’il produit des pâtes avec de la farine de châtaigne produite au pays : « J’y pense, avoue-t-il. Outre les qualités intrinsèques de la châtaigne, l’absence de gluten est un atout commercial supplémentaire non négligeable ».
Napoléon encore si présent
Au fait, que viennent-ils faire ces touristes, nombreux au point que tous les hôtels soient complets aujourd’hui, alors que l’été se termine ? « Vous n’imaginez pas à quel point le mythe de Napoléon les attire » explique Betty Sanna, DRH adjointe. « C’est particulièrement vrai pour la clientèle asiatique ».
Des touristes étrangers qui magnifient le souvenir de l’Empereur ? La ville n’est pas en reste et se montre fière du Musée National qui lui est dédié, dans sa maison natale. A la mairie, c’est aussi dans le salon napoléonien que se célèbrent tous les mariages. Et c’est pour y présider à l’union de quelques couples ajacciens que Christian Balzano prendra congé de nous !