La bienveillance dans le management n’est ni une lubie venue d’outre-Atlantique, ni une mièvrerie aux effets incertains. Au contraire, nous explique la chercheuse Sabrina Tanquerel, elle a des fondements scientifiques, des résultats concrets. Et bonne nouvelle, tout le monde peut commencer demain !
Une idée encore neuve dans le management
Cela fait plus de cinq ans que le concept de bienveillance éveille en France l’intérêt des chercheurs en management. Dès 2010, la plus grande manifestation scientifique des sciences de gestion, le congrès annuel de l’AOM (Academy of Management) avait pris pour thème : « Dare to Care, c'est-à-dire Osez la bienveillance », se rappelle la Docteur Sabrina Tanquerel, Professeur de Management des Ressources Humaines à l’Ecole de Management de Normandie.
Un mouvement d’inspiration américaine
Ce congrès a renforcé les travaux théoriques, d’essence principalement nord-américaine, tandis que les recherches en contexte français restaient encore en retrait. Dans un article paru en 2014, Sabrina Tanquerel avançait une hypothèse pour ce décalage d’intérêt apparent : « Contrairement aux Etats-Unis où l’intrusion de l’Etat (dans l’entreprise) est rejetée, la France compte entièrement sur lui (...) pour exercer la prise en charge des situations personnelles des salariés. (...) Les organisations anglo-saxonnes traitent cette question et le « management bienveillant » n’est donc pas si nouveau dans les pays anglo-saxons. Le « care », inconvenablement traduit par le terme « social » en contexte français, est un de ses versants principaux, et depuis longtemps intégré aux pratiques de management des entreprises (...). ».
De ce côté ci de l’Atlantique, le mouvement académique a assez vite réintégré cette tendance dans le mouvement plus large de l’amélioration du bien-être au travail. « La QVT ou le rééquilibrage des sphères professionnelles et personnelles (Work/Life balance) en font également partie ».
Tout sauf une lubie
De quoi parle-t-on exactement ? De mieux connaître ses collaborateurs, de leur prêter attention, de respecter l’équilibre avec leur vie personnelle, de leur faire confiance...
« La bienveillance peut être définie en GRH comme la préservation et l’amélioration du bien-être des personnes avec qui l’on est en contact personnel fréquent (...). Elle se réfère également à la notion de solidarité avec des préoccupations relevant non pas du résultat, mais de l’intégrité, de la coopération, de la compassion. Cette notion de management bienveillant est en lien direct avec l’idée du « slow management » qui se développe aussi, un management visant à accroître le bien-être au travail (Steiler, Sadowsky, Roche, 2010)».
Mais le management bienveillant ne relève-t-il pas d’une lubie, voire d’une bien-pensance qui traduirait surtout l’impuissance actuelle du management à « ré-engager » les collaborateurs ? « Absolument pas. Ce n’est pas la méthode Coué ! » répond fermement Sabrina Tanquerel : « Il existe tout un corpus de connaissances scientifiques sur le bien-être au travail, qui empruntent aux neuro-sciences,à la psychologie, à l’économie ou encore à la sociologie ».
Il y a même des chiffres : Shawn Achor (dans « The Happiness Advantage ») a ainsi démontré que les salariés heureux sont plus collaboratifs, plus créatifs. Leur productivité grimpe aussi, et de 12%(Université de Warwick, 2014) ! Barbara Fredrickson affirme quant à elle que des émotions positives vécues au travail ont un rejaillissement sur la vie privée et, finalement, contribuent à un développement des ressources physiques, intellectuelles et sociales des individus.
Etre bienveillant, aujourd’hui, c’est possible !
Convaincus ? Au moins prêts à essayer. Sabrina Tanquerel nous donne trois leviers à actionner rapidement. Avec autant de mot clés : sens, confiance et partage.
- Construire une vision d’entreprise exaltante basée sur les forces des collaborateurs (leadership positif) afin de libérer leurs énergies
- Faire confiance : donner plus d’autonomie, collaborer sur un pied d’égalité et, surtout, limiter les contrôles tout en donnant du feedback aux collaborateurs pour leur permettre de progresser.
- Partager le pouvoir avec ses collaborateurs
Evidemment, « les hiérarchies pyramidales ne sont pas adaptées au développement de la confiance. Mais il est temps de l’admettre : le contrôle trop généralisé engendre de la méfiance et du mal-être au travail. Au contraire, dans les équipes où il est limité, les objectifs communs sont régulièrement explosés ! » Et Sabrina Tanquerel de citer Jacques Lecomte qui démontre (*), que les tricheurs en entreprise sont au fond très peu nombreux, de l’ordre de 3 à 5 % à peine.
Consultante aujourd’hui, Laurence Vannier, qui fut la première DRH « Chief Happiness Officer », écrit, dans son ouvrage « Happy RH », relatant son expérience de transformation au Ministère de la Santé en Belgique que le principal obstacle au bonheur dans le travail serait... l’ego des dirigeants et leur difficulté à partager le pouvoir, à faire confiance. Sabrina Tanquerel ne veut pas entrer dans une controverse sur une supposée clairvoyance des managers anglo-saxons au regard de celle de leurs homologues latins : « Il faut tenir compte de tout le contexte avant de juger d’un quelconque retard. Néanmoins, comme l’a exprimé clairement Mac Gregor, nous savons que le management dépend de la vision que l’on a de l’être humain et de notre propre conception de la confiance ».
Pour aller plus loin, la chercheure nous conseille la lecture de cet article sur le lien entre bien-être & performance. A consulter également, le site de la Fabrique Spinoza, très intéressant et riche d’idées en outils très opérationnels. Enfin, pour se donner du cœur à l’ouvrage, une bonne nouvelle : il semble que lorsque le management se mêle de bienveillance, les effets s’en font sentir rapidement, exactement quand on retrouve un meilleur souffle quelques jours après avoir cessé de fumer. Une idée de bonne résolution pour 2017 ?
(*)« Les entreprises humanistes » de Jacques Lecomte aux Editions les Arènes en 2016