Les concepts se multiplient pour décrire le mal-être au travail et ses conséquences : l’excès d’implication qui mène au burn-out, l’ennui qui génère le bore-out, et maintenant l’absurdité ressentie de ses tâches quotidiennes qui conduit au brown-out. De quoi s’agit-il, pourquoi en arriver là et comment en sortir ?
Traduit par « chute de tension » dans l’industrie électrique, le brown-out désigne maintenant cette perte d’énergie subie par un manager ou un collaborateur face à un travail qu’il ressent absurde ou stupide. Un terme tendance pour décrire des situations largement répandues, dans lesquelles un individu doué d’intelligence se retrouve exécutant de tâches qui en sont dépourvues.
Comme un dégoût de soi-même
Le chercheur suédois Mats Alvesson et son collègue britannique André Spicer étudient depuis plus de dix ans comment des organisations intelligentes emploient si mal des gens intelligents. Avec une surprise constante : la façon dont les gens les plus intelligents finissent par faire les choses les plus stupides. Parmi les exemples qu’ils citent dans leur livre The Stupidity Paradox :
- des adultes intelligents qui participent avec enthousiasme à des exercices de leadership qui auraient plutôt leur place en maternelle,
- des cadres qui accordent plus d’attention au design des slides powerpoint qu’à une analyse approfondie des problèmes traités,
- des inspecteurs d’académie davantage intéressés à construire des stratégies fumeuses qu’à améliorer la formation des étudiants,
- des ingénieurs plus impliqués à mettre en scène des bonnes nouvelles qu’à apporter de réelles solutions,
- des travailleurs de la santé qui passent plus de temps à remplir des formulaires qu’à soigner leurs patients,
- … la liste est longue !
Du même coup, soulignent les auteurs, « on ne s’étonnera pas que tant de ces individus intelligents décrivent leur emploi comme stupide. » Il s’ensuit une démission face aux exigences de l’organisation voire, pour certains, une véritable souffrance, voire un dégoût de soi qui débouche sur des troubles psychologiques et physiologiques.
La stupidité fonctionnelle
La stupidité fonctionnelle au travail commence quand des collaborateurs intelligents sont découragés de réfléchir. Dans ce type d’entreprises – et elles sont légion ! – on considère deux populations : les thinkers et les doers. Il y a ceux qui pensent et ceux qui font, autrement dit : la tête et les jambes. Une conception venue d’un taylorisme mal digéré, et dont l’absurdité devient manifeste quand ces mêmes organisations prétendent recruter les meilleurs !
Le pire est peut-être que la stupidité fonctionnelle se nourrit d’elle-même. Car à court terme, elle peut sembler utile et produire des résultats, parmi lesquels gain de temps dans l’exécution et absence de conflits. Comme le rappelle André Spicer : « réfléchir est plus fatigant qu’exécuter, et remettre des habitudes en question ne favorise pas la popularité ». Les individus intelligents apprennent vite : plutôt que d’utiliser leurs dons, ils se tiennent tranquilles et se contentent de suivre le mouvement. L’intelligence collective va ainsi diminuant, les meilleurs éléments quittent l’entreprise, et les plus fragiles tombent malades.
Pour éviter le brown-out, fuir la stupidité fonctionnelle
Néfaste aux individus comme aux organisations, la stupidité fonctionnelle est le résultat d’un style de direction dont il faut prendre le contrepied. Les moyens sont connus : considérer ses collaborateurs comme des êtres doués de raison, encourager la réflexion individuelle et collective – en d’autres termes, « libérer » l’entreprise en même temps que ses collaborateurs…
The Stupidity Paradox: the power and pitfalls of functional stupidity at work, par Pr. Mats Klvesson et Pr. André Spicer, disponible sur Kindle, 5,99 €.