Avec le développement du digital, on assiste à une mutation de l’entreprise et à l’émergence de nouveaux risques, parmi lesquels celui d’une perte de repères. Comment les DRH doivent-ils y faire face ? Sont-ils eux-mêmes appelés à disparaître ? C’était l’enjeu du 6ème colloque annuel de l’ADRHGCT (Association des DRH des grandes collectivités territoriales) consacré le 6 octobre dernier au risque en tant que levier d’innovation.
Il serait temps que les DRH appréhendent le risque non plus comme un mot tabou, mais comme une opportunité d’évoluer, sous peine de voir leur métier disparaître d’ici 15 à 20 ans : c’est en ces termes que Johan Theuret, président de l’ADRHGCT, s’est adressé aux DRH de collectivités territoriales réunis le 6 octobre dernier à Paris pour leur 6ème congrès. Un propos appuyé par Françoise Gri, ancienne présidente d’IBM et de Manpower France, première à intervenir lors de cette journée consacrée au risque.
Le digital, un enjeu d’abord humain
L’entrée dans l’ère du digital bouleverse nos modes de vie, tant dans la sphère privée que dans le monde professionnel. Mais le digital, a souligné Françoise Gri, est avant tout un sujet humain et non pas seulement technologique, car il nécessite une adaptation des usages à tous les niveaux, et de plus en plus rapidement. L’apparition de voitures autonomes en 2025 ne relève plus de la science-fiction ; l’intelligence artificielle arrive bel et bien dans nos vies. Sur quatre générations, on a assisté à une véritable aventure de transformation : tandis que les baby-boomers se sont mis à l’informatique sur le tard, les générations X sont nées avec les PC, les générations Y avec Internet, les générations Z avec les smartphones. Et nos enfants connaissent aujourd’hui les applications mobiles avant même de savoir lire…
Des collaborateurs agiles pour satisfaire le client ici et maintenant
Le digital a également eu un impact au niveau de l’entreprise, en particulier dans la relation client, a souligné Françoise Gri : il faut satisfaire le client tout de suite, le livrer au plus vite. Conséquences : une plus grande agilité des collaborateurs, davantage d’initiatives de leur part, sans devoir attendre une autorisation venue d’en haut. Il faut désormais considérer l’entreprise comme un être vivant, dont le client constitue le cœur.
Selon les prévisions de l’OCDE et de l’Université d’Oxford, des chocs sociaux importants sont à venir avec la disparition de 10 à 37 % des emplois actuels. Chacun de nous bénéficie aujourd’hui d’une intelligence augmentée via son smartphone. Dans l’entreprise, 87 % des métiers sont concernés par le digital, au point que d’ici 5 à 7 ans, les emplois et compétences seront fondamentalement différents.
Le DRH futur gestionnaire de ressources transhumaines ?
Fini l’organigramme figé, bienvenu à un management capable de s’inventer au quotidien. Face à ces changements, les DRH vont devoir évoluer s’ils veulent continuer de jouer un rôle. Il va leur falloir notamment former différemment les collaborateurs. Le DRH pourrait bien, à terme, gérer des ressources transhumaines. Ce qui compte, c’est que chacun prenne conscience de la relation qui s’instaure entre l’humain et le digital, et surtout sache trouver le bon équilibre…
De nouveaux modes de management à l’épreuve
Le colloque a également abrité un débat sur les nouveaux modes de management et d’organisation possibles face à ces nouvelles dimensions. Trois experts étaient conviés à témoigner de leur expérience sur ces questions : Bertrand Ballarin, Directeur des relations sociales du groupe Michelin, Catherine Mieg, Directrice fondatrice de Mieg Consultants et psychanalyste, et Aissia Kerkoub-Turk, Directrice générale adjointe des services de la mairie d’Annemasse.
Ce qu’il faut aujourd’hui, a indiqué Catherine Mieg, c’est réduire l’écart qui existe entre le travail réel et le travail prescrit. Et à cet effet, il faut travailler sur la motivation, une tâche qui relève des RH.
Donner du sens au travail
Aissia Kerkoub-Turk a illustré ce propos à l’aide de sa propre expérience de l’entreprise libérée mise en œuvre dans sa collectivité depuis mai 2016. Avec l’accord de la direction, 20 agents se sont portés volontaires pour y prendre part. Il ne s’agit pas de supprimer le management mais de changer sa philosophie, a-t-elle précisé, en insistant sur la nécessité d’une grande pédagogie dans cette démarche, notamment à l’égard de certains managers, plus inquiets que d’autres à l’idée de déléguer le pouvoir aux agents.
Or le mot pouvoir est justement souvent passé sous silence car tabou, alors qu’il fonde toujours la relation managériale, a réagi Catherine Mieg. C’est le manager qui incarne le mode de vie de l’entreprise, qui donne le sens au travail du collaborateur et contribue de ce fait à la motivation de ce dernier. Un point crucial, car c’est lorsque le travail manque de sens que le risque de burn-out explose.
C’est quand ça va mal qu’on s’amuse !
Michel Ballarin l’a constaté également dans son entreprise, où la réorganisation des tâches engagée depuis les années 80, la division du travail et sa mise sous contrôle ont diminué la marge d’autonomie des ouvriers, au point que ceux-ci, dit-il, ont fini par « tirer la gueule »… Car on les avait, ce faisant, privé d’un espace de liberté. Si une certaine rigueur est nécessaire dans l’organisation du travail, il y faut aussi de l’intelligence et du cœur, a t-il rappelé. Les collaborateurs doivent jouir d’un minimum d’autonomie et avoir la possibilité de prendre des décisions dans leur travail au quotidien.
Leur employeur leur a ainsi redonné l’autorisation de régler par eux-mêmes les aléas de la fabrication. Car « c’est bien souvent quand tout va mal qu’on s’amuse ! ». D’après une enquête annuelle d’engagement conduite dans l’entreprise en 2016, la motivation des cols bleus a connu un rebond. Autres indicateurs, l’absentéisme est très bas chez Michelin, et les agents ont retrouvé le sourire…
Notre cerveau évolue, lui aussi
Ces témoignages ont été suivis de l’intervention de Luc Zimmer, chercheur en neurosciences à l’INSERM-CNRS de Lyon et professeur de neuropharmacologie à l’Université Claude Bernard Lyon 1. A la question de savoir si les neurosciences peuvent être un outil utile à une meilleure gestion des ressources humaines, l’expert a répondu oui. Mais… à condition d’y être un minimum adapté.
Les neurosciences évoluent sans cesse, au gré des avancées de la recherche. Le maître-mot actuel est la plasticité du cerveau, ce qui signifie que lorsqu’une de ses zones est touchée, elle peut être compensée. On peut apprendre, désapprendre, et les neurosciences peuvent apporter des clés de compréhension de ces processus, voire les montrer à l’œuvre grâce à l’imagerie médicale. Aux dires de Luc Zimmer, les neurosciences ne constituent pas un outil de gestion prêt à l’emploi pour les DRH, mais peuvent fournir une aide dans la compréhension d’un certain nombre de problématiques qu’ils rencontrent, en matière de sommeil, d’attention, d’addictions. Elles peuvent aussi apporter leur éclairage sur le rôle des psychostimulants, ou encore sur les mécanismes de la méditation très à la mode en ce moment, et reconnue comme un outil efficace de gestion du stress…
Une journée bien remplie
Cette matinée a été suivie d’une après-midi de conférences et de débats sur les risques auxquels les DRH sont aujourd’hui exposés, et leurs leviers d’action, en particulier en matière de développement des compétences. L’intelligence artificielle a été également abordée et le public invité à tester ses connaissances digitales lors d’un atelier interactif.
La transformation de l’entreprise est plus que jamais nécessaire, mais celle-ci est d’une telle ampleur, qu’il faut aussi transformer la manière d’y procéder, en l’abordant tous azimuts, et non plus seulement de manière descendante… Tel est l’un des enseignements de cette journée riche d’échanges.