On a rarement analysé de Gaulle sous l’angle de l’art du management. Militaire et poilitique, il ne fait pourtant guère de doutes que le Général en ait eu une belle maîtrise, en public comme en face à face. Mais au cours des années de guerre, de 1940 à 1945, il lui a fallu manager à distance, et avec de sévères contraintes… Suite de notre Petite histoire des grands leaders !
Alors que l’Europe tombe peu à peu sous le joug nazi, le Général de Gaulle décide de piloter l’organisation de la Résistance française depuis son refuge londonien. Eloigné de sa base, disposant de moyens de communication limités, adressant des problématiques complexes (métropole/Empire, zones occupée/non-occupée, oppositions politiques), il a pourtant réussi à faire converger les hommes dans un même mouvement de libération.
De 1940 à 1945, de Gaulle va rencontrer de nombreux problèmes intensifiés par l’impossibilité d’être présent sur le terrain : être reconnu comme chef de guerre de la France libre, poser un cadre général, être le garant d’une vision, clarifier les responsabilités de chacun, déléguer en toute confiance, maintenir les flux d’information.
Déléguer et clarifier les rôles
Dans un livre un peu oublié : « La discorde chez l’ennemi », paru en 1924, Charles de Gaulle avait analysé la victoire allemande de 1870, et tout particulièrement le mode de commandement du comte von Moltke, alors Général en Chef des armées allemandes. L’opinion du jeune officier d’alors était que la victoire allemande avait été due à sa grande décentralisation, accompagnée d’un puissant corps de doctrine partagé par tous.
À partir de 1942, de Gaulle confie à Jean Moulin la mission d’unir les mouvements de résistance de la zone libre (au sud). Le contenu de cette mission se fait selon un angle précis : les divers mouvements (Combat, Libération, Franc-Tireur) doivent séparer leur action politique et militaire pour créer une armée secrète qui sera dirigée par le général Delestraint. Il laisse le champ libre à ce dernier pour créer son réseau, contacter les bonnes personnes, et organiser ce qui doit. La France libre devient la France combattante. Et côté politique, le CNR de Jean Moulin unit tous les mouvements dès 1943.
Tout au long de la Résistance, de Gaulle veillera également à verrouiller chaque avancée en définissant précisément les rôles de chacun : c’est par exemple le cas lorsque sont crées divers organes structurant la Résistance en zone libre, en zone occupée, en Afrique du Nord.
Echanges opérationnels à distance, confrontation des points de vue en face à face
Lorsqu’en 1943 de Gaulle étend le domaine d’intervention de Moulin, ce dernier effectue un second voyage à Londres : c’est le moment de confronter les points de vues et idées de l’homme de terrain et du dirigeant. Un nouveau cadre, qui tient compte des remontées du terrain, est alors fixé par le général : Jean Moulin doit mettre sur pied, au niveau national, le CNR (Conseil National de la Résistance). Les deux hommes entretiennent par ailleurs une correspondance limitée par le codage des messages. Seules les informations capitales sont échangées : une demande exceptionnelle de fonds, un avis positif ou négatif sur telle décision…
Optimiser sa communication
Durant les 5 ans qu’a duré la Résistance, de Gaulle est intervenu seulement 67 fois à la radio. Constamment aux prises avec Churchill qui tente de le tempérer, de Gaulle s’exprime pour commenter certaines actualités qui nuisent aux projets de la Résistance. Il intervient par exemple pour dénoncer la nomination (américaine) du général Darlan comme chef de la résistance en Afrique du Nord. Il fixe les nouvelles orientations et donne une cohérence à l’action ébranlée par cet événement.
Devant la complexification des revendications, et face à l’intensification de la propagande vichyste, de Gaulle crée un Comité de propagande qui valorise la parole des chefs de réseau (Aubrac, Frenay, Brossolette). En contact direct avec le terrain, les acteurs de ce Comité renforcent la proximité avec les acteurs de la Résistance.
C’est une gestion stratégique de la communication qui va permettre à de Gaulle d’entretenir ou d’éveiller le sentiment d’appartenance de chacun à la France résistante et, surtout, à la future France libérée. Il cultive par ailleurs, autant que possible, la proximité relationnelle en recevant les principaux acteurs de la Résistance à Londres, ou en se déplaçant, comme à Alger, pour les négociations les plus importantes.
De Gaulle aurait-il réussi le pari de la France libre en multipliant conference calls, visioconférences et autres webinaires ?
Est-ce encore la rareté des moyens de transmission que doit redouter le manager confronté aujourd’hui à la nécessité de diriger à distance ? Ou bien est-ce le contraire, avec la difficulté physique à faire le tri de la masse d’informations en circulation ? De Gaulle aurait-il réussi le pari de la France libre en multipliant conference calls, visioconférences et autres webinaires ? Reste que la distance est souvent bon juge des qualités – et des défauts d’un management…