Quelle est la place des DRH dans des organisations en transformation ? C’était le sujet de la troisième édition du colloque de l’Association des DRH des grandes collectivités territoriales. Quel est le pouvoir des DRH ? Quelles sont leurs capacités d’action ? Riches en débats, la journée a fourni autant de réponses que de sujets de débats.
Après une présentation de la journée par Valérie Chatel, présidente de l’ADRHGCT, la keynote de Pascal Ughetto constitua le premier temps fort. Enseignant-chercheur en sociologie, il entendait placer le travail au cœur du débat. Le travail, et pas seulement l’emploi– même si ce dernier retient bien souvent l’essentiel des attentions syndicales. Le sociologue ne croit pas aux problèmes générationnels entre les « classes » Y, Z ou X. La question centrale est celle de la valeur du travail perçue par l’agent, qu’il soit cadre, comptable ou agent d’espace vert. C’est pourquoi il est tellement essentiel de connaître et comprendre les réalités des agents de terrain, de premier niveau. Car ce sont eux, qui engagent chaque jour la responsabilité de leur administration, et que l’on tente (en vain ?) d’encadrer par des scripts, des codes de comportement, des temps limités par action - toutes procédures essayant de répondre par avance aux incertitudes.
Les concurrents de la DRH sont partout !
La table ronde suivante s’intéressait à la place de la DRH dans l’organisation du travail. Le constat est abrupt : la fonction se trouve aujourd’hui en concurrence avec toutes les fonctions support : qualité, DSI, achats, DAF… Et si le début des années 80 avait vu la reconnaissance de la fonction RH, c’est bien aujourd’hui la DSI qui, de fait, décide de l’organisation du travail. Avec la complicité active, parfois, des éditeurs de logiciel.
Le pouvoir de dire non, le devoir de savoir l’expliquer
Pour émerger, la DRH ne peut donc plus se contenter d’agir seulement en organisme de normalisation, gros consommateur de reporting, et gros producteur d’indicateurs. Elle doit recentrer son activité sur le travail, sa définition et son organisation. C’est la condition indispensable d’une conduite du changement réussie. Ce qui devrait lui permettre d’assumer son rôle, tel que défini par Michel Neugnot, Vice-Président du Conseil Régional de Bourgogne : « Le pouvoir de dire non, le devoir de savoir l’expliquer »
La confiance à restaurer, un sacré « bordel »
En fin de matinée, Sylvie Wahl, fondatrice de Coach Up Conseil, a passionné l’assistance en présentant l’ouvrage collectif « Et la Confiance Bordel ? », issu d’un groupe de travail sous l’égide de l’Institut Montaigne et de Financi ‘Elles. Le drame de la France, affirme-t-elle, c’est la défiance. Dirigée vers le haut – les élites politiques, les dirigeants d’entreprise – comme vers le bas – cf. la dernière enquête de l’Insee sur la profonde méfiance à l’égard des pauvres. Mais comment définir la confiance ? Sa proposition a le mérite du concret : « Accepter de partager ses compétences ou ses ressources, en espérant un retour positif, voire un bénéfice ».
La défiance a un coût
Si notre société est aussi défiante, c’est entre autres à cause de notre éducation. Dès l’enfance, à l’école, le sachant s’oppose à l’apprenant, le mode collaboratif est négligé. Cela continue dans le monde de l’entreprise. Mais il y a un gros problème, explique Sylvie Wahl, « c’est le coût de cette défiance. Et c’est au DRH de l’expliquer au DG ». Car sinon, nous entretenons ce paradoxe national : nous disposons d’un des niveaux de protection les plus élevés au travail, mais sommes de ceux qui y développons le plus de stress. Parmi les pistes proposées pour en sortir, la restauration de la légitimité du management intermédiaire vient en bonne place, notamment en lui redonnant le pouvoir de reconnaitre ses collaborateurs. En se rappelant que ce ne sont pas les éléments de rémunération qui ont le plus d’impact, mais plutôt le temps laissé à l’autonomie, à la parole. A cette condition, espère Sylvie Wahl, ce manager peut devenir « l’idole de ses collaborateurs ».
Le DRH cannibale
Un souhait qui ne pouvait qu’emporter l’adhésion de l’assistance, bien remuée par l’intervention suivante, du sociologue Xavier Baron, interrogé sur les nouvelles postures du DRH par celui du Conseil Général de la Meurthe et Moselle, Jérôme Lesavre. Avec quelques questions iconoclastes, comme « pensez-vous qu’une entreprise se passant de DRH s’en porte plus mal » ? Ses réflexions n’étaient pas moins provocantes : « Cela me navre d’entendre des DRH m’expliquer qu’ils ne sont pas là pour réfléchir, trop occupés par des tâches uniquement opérationnelles ». Et quant à ceux qui lui glissent « je suis DRH parce que j’aime l’humain », il leur répond : « Vous êtes cannibales ? Parce qu’en réalité, vous êtes là pour créer de la performance. Mais je suis bien d’accord avec vous, il s’agirait d’abord qu’on vous dise laquelle » !
De quoi lancer la dernière table ronde, sur le DRH en accompagnement du changement. L’occasion pour Jean-René Moreau, DGS San Ouest Provence et Président de l’Observatoire Social Territorial, de souligner que si, « selon une enquête récente, 60% des DRH déclarent travailler avec les Directions Générales, encore faut-il, pour la jouer collectif, qu’il y ait un projet défini ». Et si le vrai sujet de la transformation des DRH, c’était celui de la transformation de leur environnement ?