Etre évalué, non seulement par ses responsables, mais aussi par ceux dont on a la responsabilité, est un challenge exigeant, voire parfois dérangeant. Mais c’est aussi un formidable outil au service du dialogue et du changement. L’avis de Jean Masselin, ancien DRH dans l’industrie électrique et fondateur du cabinet Adventif, et d’Isabelle Sathicq, spécialiste en transition de carrière.
Le feedback 360° vise à évaluer les compétences, techniques, managériales, sociales et comportementales, d’un manager, en faisant intervenir ses supérieurs hiérarchiques, mais aussi ses collaborateurs, ses collègues, et parfois même ses fournisseurs et prestataires. L’objectif est d’obtenir une photographie des compétences afin de confirmer ses talents et de dégager des axes de progression.
Nous avons échangé sur cette pratique avec deux professionnels : Jean Masselin, ancien DRH dans l’industrie électrique, qui a conduit une campagne de feedback 360 auprès d’une trentaine de managers, actuellement associé fondateur du cabinet Adventif, et Isabelle Sathicq, spécialiste en transition de carrière, associée de l’Espace Dirigeants.
A la fois photographie et outil de progression
Le 360° demande un effort de mise en œuvre : élaboration, administration et surtout traitement des questionnaires. Or « il ne portera ses fruits que si un réel suivi est organisé, sinon il se soldera souvent par un coup d’épée dans l’eau » considère Jean Masselin. Qui rappelle qu’en « aucun cas il ne doit être utilisé comme un système d’évaluation qui note et fige, mais bien comme un point de départ, une photographie qui permet d’avancer et de grandir ».
« Si le 360° est utilisé comme un outil de sanction, il est complètement dévoyé » renchérit Isabelle Sathicq. « L’outil doit être construit et utilisé de manière à (…) permettre à celui qu’il concerne de s’engager dans une démarche d’amélioration ». Nos deux interlocuteurs l’ont constaté : « Si le 360 devient un défouloir, il perd tout bénéfice. Chacun repart piteusement avec ses résultats, sans vouloir en parler à qui que ce soit, même pas aux RH. C’est alors aussi constructif qu’une lettre anonyme… » considère Isabelle Sathicq.
Anonymat ou pas anonymat ?
C’est justement ce qui pousse la consultante à conseiller d’éviter l’anonymat chaque fois que possible : « l’anonymat permet d’écrire ce que l’on pense tout bas, on se lâche sans barrières. Attention : cela peut générer du désarroi chez celui qui reçoit les commentaires et, d’autre part, cela empêche le dialogue. Impossible alors de résoudre les tensions. »
Peut-on obtenir une photographie objective des compétences sans anonymat des réponses ? « Bien sûr, répond la consultante, ce qui compte ce sont les écarts, bien plus que les notes. Une note très négative crispe, alors que l’important c’est de mettre en exergue les axes d’amélioration principaux. L’idée, c’est que la note secoue un peu, tout en laissant la plporte ouverte. »
Sans être nécessairement favorable à l’absence d’anonymat, Jean Masselin rejoint Isabelle Sathicq sur la manière d’aborder la notation : « Il faut du courage pour celui qui s’exprime, mais aussi de la modération. En réalité les gens s’auto-modèrent naturellement, et cela rend le dialogue plus facile par la suite, même si les scores sont un peu édulcorés. » Les deux consultants s’accordent sur un point clé : « l’important c’est que la discussion sur le changement ait lieu ».
Un questionnaire qualitatif plus que quantitatif
Jean Masselin recommande d’utiliser des outils avec des questions ouvertes qui donnent des réponses qualitatives plutôt que des QCM à l’approche quantitative. Donner aux sondés le champ libre, la possibilité de s’exprimer en dehors des cases prédéfinies, favorise une meilleure finesse de diagnostic. « Dans ma pratique, en tant que DRH, je suis allé de dispositifs très quantitatifs à des dispositifs de plus en plus qualitatifs, et je constate que le dialogue n’en est devenu que meilleur, et plus apte à faire bouger les choses. Plus on est obsédé par la précision de la mesure, plus cela fige les débats. ». Même écho chez Isabelle Sathicq : « ajouter des commentaires qualitatifs aux notes quantitatives permet de tempérer une note et d’ouvrir à la discussion ».
Le suivi encore plus important que la mesure elle-même
Si Jean Masselin n’avait qu’un conseil à donner, ce serait celui-ci : « Prenez votre bâton de pèlerin, allez sonder ceux qui vous ont évalué ». Car le 360° feedback est surtout un vecteur de changement culturel, considère Isabelle Sathicq. « Le 360° doit être abordé comme un outil pour se parler. Pour cela, il doit s’assortir d’un support méthodologique pour aller à la rencontre de ses évaluateurs. »
Le manager pèlerin échangera avec ses noteurs en s’appuyant sur des questions qui ouvrent au dialogue, comme :
- Pouvez-vous me donner un exemple de situation où se manifeste cette attitude ?
- Avez-vous des exemples de personnes qui gèrent cela mieux ?
- En quoi le font-ils mieux ?
- Avez-vous des conseils à me donner ?
Pour Isabelle Sathicq, le 360° révèle toute sa force à cette étape, où « l’on se sert de l’autre pour mieux prendre conscience du problème et pour trouver ensemble une solution. Le 360°, quand il est bien réalisé, fait des autres des partenaires accompagnateurs plutôt que des juges. »
Même dans un contexte d’anonymat, on peut tout à fait envisager de rencontrer un échantillon des sondés, pour un échange critique et constructif. Pour Jean Masselin, « l’idée, c’est de générer une dynamique d’entreprise. L’outil permet de déplacer le débat de caractéristiques réputées immuables - la personnalité - vers l’identification de ce que les personnes attendent les unes des autres (les interfaces). Sous cette condition, l’outil est porteur de changements »
Facteur clé de succès : bien présenter le 360°
Autre point clé de la réussite d’un 360°, la manière dont on le présente aux employés. Isabelle Sathicq : « l’outil est facilement perçu comme un moyen de repérer le vilain petit canard ! Veillez à le présenter comme ce qu’il est : un outil de management et de co-construction, pensez à conseiller d’être mesuré dans sa notation, et à apporter des remarques pour aider. » En résumé : « La sincérité, oui, mais avec beaucoup de mesure, et animée par un esprit constructif. Il faut pouvoir dire ce que l’on pense, en gardant en tête ce que l’autre est capable de comprendre. » Il faut également rassurer sur la confidentialité du rapport, sur le fait que son contenu ne peut pas devenir opposable, servir d’outil d’évaluation ou de document à charge en cas de licenciement. L’objectif est que les salariés travaillent à leur propre développement individuel, en toute confiance.
Des volontaires pour un pilote
Pour garantir la réussite d’un 360°, pourquoi ne pas commencer sur une base de managers volontaires ? Pour Jean Masselin, c’est là une manière simple d’en faciliter l’adoption. « L’outil ne porte ses fruits que si les participants s’engagent réellement sur l’après. Il vaut bien mieux partir d’une base de volontaires qu’on élargira ensuite, et compter sur la viralité pour que l’outil prenne et soit adopté plus largement » considère-t-il. Il complète : « Parfois, ceux qui ont le plus intérêt à le faire ne le font pas. Mais à forcer des gens qui ne le souhaitent pas, on perd juste du temps et de l’argent. Alors que des volontaires vont s’engager, car eux recherchent ce feedback. »
360° feedback : pour quand, pour qui ?
Le 360° feedback est un outil de changement. Quel est le bon moment pour le mettre en œuvre ? En temps de crise, l’entreprise privilégie souvent d’autres plans d’action ; mais quand le système semble tourner rond, l’entreprise peut être réticente à provoquer des possibles remous… Selon Jean Masselin, « il vaut mieux réfléchir aux conditions de réceptivité au feedback : si on est dans une impasse mais que les salariés sont réceptifs, on peut y aller. » Il alerte sur certaines réticences souvent rencontrées : « l’argument qui consiste à dire que l’outil ne colle pas avec votre culture d’entreprise est fallacieux. En réalité, cet outil s’adapte à la culture, et quand on veut, on peut ! Tout le monde peut bénéficier de cet outil.
Le 360° feedback est aussi l’occasion de faire ressortir ses points forts… quitte à avoir de bonnes surprises. « La perception que l’on a de soi-même n’est pas nécessairement celle que les autres ont de nous ! » rappelle Isabelle Sathicq. « Parfois le 360° feedback est l’occasion d’agréables surprises. Ce n’est pas que du poil à gratter ! » conclut Jean Masselin.