Est-ce le symptôme d’une résistance au changement de notre société ? Le législateur a beau multiplier les initiatives en faveur d’une plus grande égalité de droits entre les hommes et les femmes, ces dernières continuent de se cogner au plafond de verre. Les mentalités sont longues à changer, et les pratiques peinent à suivre. Mais des signes encourageants sont apparus ces dernières années.
Elles sont beaucoup à s’en plaindre. Lorsqu’elles essaient d’obtenir un poste à responsabilités, les femmes se heurtent à une série d’obstacles invisibles qui entravent leur évolution professionnelle. L’expression «plafond de verre» apparue aux Etats-Unis à la fin des années 70 rend compte de ce sort semble-t-il réservé aux femmes. Un mécanisme d’autant plus difficile à combattre qu’il est invisible, notamment aux yeux des hommes. Et pour cause, faute d’y être eux-mêmes confrontés, ces derniers peuvent être naturellement enclins à en minimiser l’importance.
L’héritage du passé
Les femmes au travail se battent pour en finir avec les inégalités de salaires, c’est le message de Rachel Silvera, dans son ouvrage paru en 2014 sous le titre « Un quart en moins ». Économiste, maîtresse de conférences à l’université Paris Ouest-Nanterre, co-directrice du Mage (Marché du travail et genre), experte française du réseau "Genre et Emploi" de la Commission européenne (Bureau Égalité des chances), cette spécialiste des questions d’égalité professionnelle explique la persistance des disparités entre les hommes et les femmes par un ancrage inconscient dans le modèle de notre société hérité du XIXème siècle.
A cette époque, explique-t-elle, on considérait qu'il n'était pas vital pour une femme de travailler, le salaire du mari faisait vivre la famille. Si l’épouse avait une activité professionnelle, sa rémunération avait valeur de simple salaire d'appoint. Selon l’auteure, les mentalités sont encore empreintes de cette conception. Cela explique qu’en dépit des nombreuses avancées législatives qui se sont succédées depuis les années 70, en pratique, les salariées semblent toujours coincées entre plancher collant et plafond de verre.
Premiers succès d’un féminisme d’Etat
«Pour autant, des évolutions se font jour, en particulier pour les femmes dotées en capital social, économique et culturel, observe l’experte. Si elles continuent de se heurter au plafond de verre, leur sort a sans conteste évolué par rapport à celui de leurs mères. Elles ont eu de vraies chances, grâce d’ailleurs à un féminisme d’Etat ».
Ainsi la loi Copé-Zimmermann de 2011 a contribué avec un certain succès à féminiser les conseils d’administration. C’est le constat qui ressort du rapport "Parité en entreprise" présenté le 10 février 2016 dans le cadre du Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes. Le texte fixait à échéance 2017 un objectif minimal de 40 % de femmes à atteindre au sein des conseils d’administration et de surveillance des grandes entreprises privées et publiques. Grâce à cette loi, indique le rapport, avec respectivement 34 et 32 %, la part des femmes a triplé entre 2009 et 2015 dans les conseils des entreprises cotées du CAC40 et du SBF120. Sur l’ensemble des entreprises cotées, le pourcentage a atteint 28 %. Mais les changements positifs impulsés par la loi se limitent au partage des sièges et non du pouvoir, 95 % des présidences de conseils d’administration et de surveillance étant occupées par des hommes et aucune entreprise du CAC40 n’est à ce jour dirigée par une femme.
« Et puis, ajoute Rachel Silvera, les femmes qui ont bénéficié de ces mesures sont avant tout des cadres à haut potentiel, une minorité, comparée à la population de femmes cadres d’exécution, techniques, fonctionnels qui forment le gros des troupes. Pour celles-ci, il faut mobiliser d’autres leviers ».
Les femmes cadres s’organisent en réseaux
« Si les écarts de salaires entre les hommes et les femmes cadres persistent, poursuit la spécialiste, ces dernières ont de plus en plus voix au chapitre. Elles s’organisent en réseaux d’entreprises, qui bien qu’encore insuffisants commencent à peser. » Par exemple, dans le secteur de la banque, finance et assurance, Financi'elles regroupe une douzaine de réseaux internes de femmes cadres avec pour objectif d’accélérer leur accès au sommet des organisations du secteur. Un autre réseau, Alter Egales CDC, propose aux cadres féminins du Groupe Caisse des Dépôts des programmes de « mentorat », des ateliers de l’Histoire sur des femmes d’exception, des ateliers du Leadership ou encore des réunions « Parcours de Femmes » pour contribuer au décloisonnement du Groupe, ainsi que des think tank.
« Un autre levier, important, se situe en amont. Il concerne les écoles dans lesquelles il faut favoriser la mixité », souligne Rachel Silvera. C’est particulièrement vrai dans les écoles d’ingénieurs qui ne comptent que 25 % de jeunes filles. Il faudrait agir aussi au niveau des employeurs eux-mêmes, car ces derniers ont tendance à toujours recruter leurs cadres dans les mêmes grandes écoles, à dominante masculine. « Enfin, ajoute l’experte, il y a sans doute beaucoup à faire au sein même de l’entreprise, tant dans son organisation, que dans sa politique de rémunérations individuelles, bien souvent opaque ». Autant de progrès encore à initier, au bénéfice des femmes cadres, mais aussi en bas de l’échelle, pour celles, nombreuses, qui sont confrontées au plancher collant.
Des signes encourageants sont apparus avec la loi de 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Ses trois mesures phares concernent le partage du congé parental, la prévention de la diffusion de stéréotypes sexistes à la télévision et la parité en politique. On manque encore de recul pour en apprécier les effets concrets, mais le progrès est en marche…
Un quart en moins. Des femmes se battent pour en finir avec les inégalités de salaires. Rachel Silvera, La Découverte, 2014.