Le renouvellement du management dans l’entreprise amène souvent des situations où un jeune cadre doit piloter des collaborateurs plus âgés que lui, parfois proches de la retraite. Une situation délicate à gérer, à la fois humainement et techniquement, d’autant que les DRH n’ont pas toujours des stratégies lisibles à proposer à leurs managers de terrain. Et pourtant elle peut se révéler riche d’opportunités, aussi bien pour l'entreprise que sur le plan humain.
« La prise en compte de la séniorité en entreprise n’a pas toujours été une évidence ». Nicole Raoult, présidente du cabinet de conseil RH Maturescence sait de quoi elle parle. Cela fait vingt ans qu’elle a commencé à développer une expertise sur ce thème, pour le compte de la Sécurité Sociale, au sein de l’association Développement & Emploi, ou encore auprès d’entreprises comme Air France, FR3 ou l’Anact. « Jusqu’assez récemment, les responsables RH ne s’intéressaient pas vraiment à la pyramide des âges dans les effectifs. Ils géraient les personnes en place, qui vieillissaient pourtant. Pratiquant une forme de gestion de stock ».
Alertés par les experts, les politiques et l’Europe se sont emparés du sujet au cours des années 90 et surtout 2000. A la clé, deux textes, l’un émanant d’un gouvernement de droite, l’autre d’un gouvernement de gauche. Fin 2008, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale, apparait ainsi l’obligation de négocier des accords d’entreprises traitant du maintien dans l’emploi des personnes âgées. Quatre ans plus tard, sont lancés les contrats de génération, qui prévoient des aides pour les entreprises qui titularisent un jeune travailleur tout en préservant un emploi de sénior censé le former.
Articuler les stratégies RH avec les réalités du management de terrain
« Globalement, ces dispositifs sont des échecs et d’ailleurs, la Cour des Comptes vient de parler, avec euphémisme, d’insuccès pour le Contrat de Génération » regrette Nicole Raoult. « D’ailleurs, après avoir été assez actives sur ces thèmes, les entreprises et leurs DRH nous consultent depuis quelques années plutôt sur des problématiques de management intergénérationnel ».
Bien sûr, cette demande concrétise tout de même la perception d’un sujet à traiter avec les seniors. « Dans une certaine mesure, elle confirme qu’il y a un besoin de différenciation ». Mais entre les stratégies de la DRH, et la réalité du management opérationnel, sur le terrain, il y a souvent un gouffre ».
Comprendre à qui on a affaire
Les jeunes cadres sont souvent bien formés à la problématique, sur le plus théorique du moins, estime l’experte. La pratique est en revanche plus hétérogène et dépend à la fois de leur envie de la traiter et du comportement qu’ils choisissent d’adopter. Nicole Raoult leur conseille d’abord de cerner à qui ils ont affaire, dans leurs équipes. Selon elle, ils font face à trois populations bien distinctes dans ces dernières années de carrière :
Les experts :
Peu nombreux, mais reconnus pour leur savoir-faire, technique ou dans la relation client par exemple, les experts sont dans des positions d’influence dans l’entreprise, souvent obtenus avec le temps. « Ils ne se sont pas vus vieillir mais ce n’est pas grave car il n’y a pas ni besoin ni volonté de les remplacer ». Ils représentent des singularités à gérer, et le manager doit les prendre avec « des pincettes »… car ces personnes n’ont pas toujours des attitudes bienveillantes à leur égard.
Les résignés :
L’immense majorité des personnes en fin de carrière et pas seulement d’ailleurs. Elles sont restées trop longtemps dans le même poste, ont perdu la motivation et essayent seulement de durer. « Elles saisiront éventuellement des opportunités de sortie, mais ce ne sera pas pour lancer une autre aventure professionnelle ». Elles donnent le « la » d’une ambiance d’équipe et demandent beaucoup, tout en donnant peu. Aux managers de tenter de les prendre à leur propre jeu, en leur proposant des défis raisonnables à relever.
Les challengers :
Enthousiastes, ils sont toujours partants et apprécient de travailler en équipe. Il y en a dans toutes les générations, y compris parmi les seniors. Le tout est de canaliser cette énergie mais il y a évidemment beaucoup de positif à gérer des personnes qui acceptent volontiers des évolutions de poste voire de lieu de travail : « Après 50 ans, certaines contraintes de la vie familiale s’estompent, et il y a de vraies envies de mobilité qui peuvent émerger ».
On l’a compris, ce ne sont ni les experts, encore très utilisés, ni les challengers, toujours motivés, qui posent problème au manager dans sa gestion des seniors en fin de carrière professionnelle. Mais bien les résignés, cette multitude protéiforme. « Une priorité, notamment en arrivant dans le poste de management, est de comprendre la source de leur résignation. Et pas forcément pour la combattre. Il y a des éléments, hors vie professionnelle – problèmes de famille, de santé, qui doivent juste être pris en compte, car on ne peut pas les changer. Rappelons que les plus de 50 ans et les femmes, fournissent l’écrasante majorité des « aidants » qui s’occupent de personnes dépendantes, en particulier de leurs parents.
Lire aussi : Les aidants, un vrai sujet RH
Maîtriser les outils… car il y en a beaucoup !
Une fois effectuée cette découverte des ressorts de la motivation et des expertises du collaborateur, le manager doit ensuite avoir une vision claire des dispositifs qu’il peut proposer pour améliorer la situation, soit de son collaborateur, soit de l’équipe mais ce sera souvent les deux.
« Il y a vraiment beaucoup d’outils disponibles aujourd’hui » constate Nicole Raoult. Parmi eux, citons les bilans de compétence, les formations pour reconversion (Fongecif), les aménagements pour permettre l’investissement dans l’associatif, etc.
Leur connaissance par le manager, afin par exemple de les présenter au senior lors d’un entretien annuel d’évaluation, ne suffit pas. « Il faut aussi avoir une idée réaliste des conditions de mise en œuvre, car ce n’est pas le manager qui va suivre un dossier de demande de Fongecif par exemple ». Si la DRH ne suit pas, avec des solutions d’accompagnement, un support efficace, les perspectives évoquées avec le collaborateur tourneront court. Cette cohérence entre la DRH et le management de terrain est donc essentielle.
Penser aussi l’après carrière
Enfin, les toutes dernières années d’une carrière sont aussi celles qui préparent… le départ en retraite. « Il faut bien avoir conscience que c’est un véritable deuil à venir pour le collaborateur, celui de sa vie professionnelle. Il a un moment vertigineux à vivre devant lui ». Aborder le sujet avec lui en amont permet de le rassurer et cette sérénité aura des effets positifs sur sa participation des dernières années à la vie de l’équipe et de l’entreprise.
« Cela peut paraitre difficile, quand on a quarante ans, de parler de la retraite. Mais manager, c’est avant tout de l’humain. Rien que le fait de s’en préoccuper, de sentir le moment où en parler avec son collaborateur, démontre l’attention qu’on lui porte. Dans trop d’entreprises, c’est un rendez-vous manqué, qui n’est traité que techniquement ». Au cadre de terrain, à l’inverse et avec toute son humanité, est ainsi donné l’occasion de prouver tout autre chose.