Les jeunes salariés nés entre 1978 et 1994 placent l'innovation avant la performance financière comme premier critère de choix de leur entreprise. Au-delà des idées reçues, tour d'horizon des attentes de cette génération née sous le signe du numérique et du chômage de masse.
On les dit impatients et impulsifs, voire versatiles, effrontés et insolents, soucieux d'abord de leur vie personnelle. On les décrit avec des écouteurs vissés aux oreilles, et éternellement connectés à Facebook et Twitter. La génération Y suscite bien des questions dans les entreprises. Au point de voir se développer des formations sur le management de ces salariés nés entre 1978 et 1994.
Co-auteures du livre “Manager la Génération Y”, Florence Pinaud et Marie Desplat décrivent ainsi ces nouveaux collaborateurs : “Ils sont nés avec une souris dans la main, alimentent leurs comptes Facebook et Twitter depuis des années et tapent des sms tout en menant une videoconférence sur Skype... Les enfants de la génération Y ont aujourd'hui entre 20 et 30 ans, ils arrivent dans l'entreprise avec des valeurs et des attentes différentes de celles de leurs ainés. Ayant du mal à séparer le perso du boulot, fuyant le conflit en se réfugiant dans une bulle idéale, les Y sont néanmoins capables d'une grande concentration et d'une vraie mobilisation sur une mission pour peu qu'ils en comprennent et le fonctionnement et l'utilité, et qu'ils adhérent aux objectifs.”
De son côté le sociologue Jean-Luc Excousseau, cofondateur de l'Association du marketing générationnel, décrit une génération à l'expérience professionnelle hachée, « toujours borderline », qu'il faut « cadrer et recadrer » sans cesse*.
La jeunesse subversive et créative a toujours existé
Mais est-ce bien spécifique à cette génération ? « La jeunesse, subversive mais créative et aimant le risque, a toujours existé, répond Jean Pralong, chercheur en gestion des ressources humaines et professeur à l'ESC Rouen. Le stéréotype de l'étudiant agité, en phase avec l'air du temps mais dangereux, inspire les mêmes sentiments depuis un siècle. »*
Quant à leurs comportements supposés, ils dépassent cette génération si l'on en croit François Pichault, professeur à HEC et à l'université de Liège : « On a mené une enquête comparative en posant les mêmes questions auprès de 900 personnes sur trois générations. Les trois vous disent qu'elles veulent un travail qui a du sens et trouver l'équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle... Les différences sont minimes. »*
Le comportement face au travail est également très lié à l'état de la société, surtout en période de chômage de masse. L’expérience des parents et de leurs amis, quand ils ont connu des « charettes », des « guichets départs » et autres « restructurations », ne pèse pas pour rien dans cet état d’esprit, comme le rappelle Manuel Conejero dans notre dossier consacré à la motivation.
Quelles sont les attentes de la génération Y vis-vis de leur entreprise ?
La troisième édition annuelle de la Millennial Survey de Deloitte Touche Tohmatsu Limited (DTTL)** publié en janvier dernier, répond en partie à cette question. Pour Jean-Marc Mickeler, associé et directeur des Ressources humaines de Deloitte France, « il est clair que les entreprises devraient être à l’écoute des attentes de la Génération Y en matière d’innovation. Encourager une culture de l’innovation permettra non seulement de retenir les talents à haute performance, mais également de stimuler la croissance. » Ils sont en effet 78 % à considérer l'innovation comme un critère de choix important de leur entreprise. Plus d'un sondé sur quatre estime que son employeur actuel ne l'incite pas activement à faire preuve de créativité. Principaux obstacles à l’innovation : l’attitude de la direction (63 %) et les structures et procédures opérationnelles (61 %).
Par ailleurs, la performance financière n'est plus nécessairement considérée comme le critère de réussite d’une entreprise. A la place, la capacité de l’entreprise à améliorer la société apparaît comme une valeur en hausse. Mais sur ce point les jeunes français se montrent plus sévères que les jeunes étrangers : ils ne sont que 36 % (contre 54 %) à estimer que leur entreprise fait preuve d'un comportement éthique et durable, et 44 % (contre 56 %) à penser que les managers sont véritablement impliqués dans la recherche d’une société meilleure.
En revanche, seuls 52 % d’entre eux envisagent de travailler de façon autonome et de quitter l’environnement de travail proposé par les entreprises aujourd’hui - contre 70 % en moyenne dans le monde. Faut-il y voir un déficit d’audace ou une volonté de participer au changement ? Il est encore un peu tôt pour le dire…
* Le Monde 11/04/2013
** Étude menée par Deloitte, en collaboration avec Millward Brown. Plus de 7 800 entretiens ont été réalisés en ligne entre le 10 octobre et le 11 novembre 2013. Près de 300 entrevues ont été menées dans chacun des 28 pays.